Le Temps

L’héritière de l’empire Jacobs Suchard devenue «la fée des cartoneros»

L’héritière de l’empire Jacobs Suchard soutient avec son projet des enfants de familles défavorisé­es de Buenos Aires. Elles vivent du recyclage des déchets

- DANIEL ESKENAZI, BUENOS AIRES

A Pilar, municipali­té située à une trentaine de kilomètres de Buenos Aires, on l’appelle la «hada madrina de los cartoneros», soit «la fée des cartoneros». Ces Argentins issus des classes défavorisé­es vivent du recyclage des déchets depuis la crise économique de 2001. C’est dans cette banlieue que la milliardai­re suisse Renata Jacobs, membre de la famille héritière de l’empire chocolatie­r Jacobs Suchard qui dispose d’une fortune estimée par Bilan en 2016 à 8,5 milliards de francs, a jeté son dévolu. Présidente de Jacobs Family Council et membre du conseil d’administra­tion de Jacobs Holding, elle a démarré en 2011 son projet éducatif baptisé Cartoneros y sus Chicos (traduction: les cartoneros et leurs enfants) www. cartoneros.org/.

Aujourd’hui, une école accueille chaque jour gratuiteme­nt près de 150 élèves de 6 à 14 ans. Tous sont des enfants des membres de la coopérativ­e de cartoneros Las Madreselva­s, qui compte au total 650 familles. Comment une milliardai­re qui garde secret son âge a-t-elle eu l’idée de soutenir des enfants de familles défavorisé­es d’une banlieue de Buenos Aires?

Réussite du projet

La première fois qu’elle est venue en Argentine, c’était il y a plus de vingt ans. A l’époque, l’entreprise Suchard détenue par son mari avait une fabrique de chocolat dans la banlieue de Buenos Aires. «Dès le début, j’ai aimé l’Argentine, les gens. Quand mon mari est décédé [Klaus Jacobs est mort d’un cancer en 2008], ma cadette m’a dit: «Tu aimes les enfants, tu dois faire quelque chose pour eux.» Trois ans après, j’ai visité pour la première fois une usine de recyclage des déchets. Je ne savais même pas ce qu’était un cartonero. Nous avons décidé de moderniser l’usine. Mais lorsque j’ai vu les enfants qui ne faisaient rien, je me suis dit qu’il fallait absolument soutenir leur éducation. Chaque enfant y a droit. C’est le facteur clé en Argentine pour sortir de la pauvreté. C’est ainsi que j’ai créé mon projet. Je n’y ai pas réfléchi, c’était une décision spontanée. C’était une histoire de coeur, alors que mon mari s’occupait auparavant de projets éducatifs via sa fondation», confie la mère de quatre enfants qui partage sa vie entre Londres et Malte.

En six ans, le nombre d’élèves soutenus est passé de 60 à environ 150. Le projet constitue une réussite. En 2015, tous les écoliers ont réussi leurs examens. Ce taux est passé à 97% l’an dernier. «Ces résultats sont la preuve que notre initiative, en collaborat­ion avec l’ONG argentine SES, est un succès. Elle démontre le potentiel qu’ont les enfants lorsqu’on les soutient dans l’éducation. Même à distance, je suis personnell­ement l’évolution scolaire de chaque élève», souligne la philanthro­pe d’origine italienne.

Mais aujourd’hui, Renata Jacobs veut passer à la vitesse supérieure. Le 10 octobre, la passionnée d’équitation qui possède une écurie en Grande-Bretagne a transformé son projet en ONG basée à Buenos Aires. «Grâce à cette évolution, nous voulons obtenir davantage de soutien du gouverneme­nt, des communauté­s, des entreprise­s et des Argentins. Ici, contrairem­ent à la Suisse, la récolte de fonds est plus compliquée, car je ne suis pas connue. Les privés refusent généraleme­nt de financer mon projet. J’organise deux galas par année pour récolter des fonds, l’un à Zurich, l’autre à Buenos Aires. En Suisse, je parviens à trouver beaucoup plus de soutien financier des donateurs. Il s’agit d’amis, d’entreprise­s et de banques. Je reçois aussi parfois des oeuvres d’artistes dont les fruits de la vente nous reviennent. Tout comme des chaussures de Federer et des maillots signés par Messi. Les gens aisés doivent prendre conscience que certains luttent au quotidien pour pouvoir se nourrir et doivent être soutenus. C’est notre devoir d’aider les autres», insiste-t-elle.

Le financemen­t n’est toutefois pas le problème principal de Renata Jacobs. Elle a reçu un terrain des autorités de Pilar en 2015 et pour une durée de cinq ans, mais elle déplore la lenteur des autorités. «Rien ne se passe, alors que nous avons un besoin urgent de construire une nouvelle école pour accueillir davantage d’enfants. Nous avons reçu 300 demandes de scolarisat­ion pour 2018, mais nous manquons d’espace», déplore-t-elle.

Accro au travail

La septuagéna­ire est une hyperactiv­e. Elle s’occupe des investisse­ments de la famille durant la journée. La société d’investisse­ment Jacobs Holding est actionnair­e à 51% de Barry Callebaut, leader mondial du chocolat industriel. Elle détient de plus Colosseum Dental Group, un des leaders européens des cliniques dentaires. «Durant des années, mon mari m’a formé pour lui succéder et j’étais bien préparée. Il voulait que je rentre au conseil d’administra­tion, mais j’ai refusé. J’ai accepté après son décès, tout comme mes deux fils. Au début, c’était très difficile, mais cela me plaît. J’aime le pouvoir, mais les décisions se prennent en famille», confie-t-elle.

La nuit, elle ne croise pas les bras. Elle travaille pour Los Cartoneros y sus Chicos. «Tout organiser depuis la Suisse avec le décalage horaire et une culture différente du travail est toutefois très compliqué. Avec la création d’une ONG locale, nous disposeron­s de bureaux en Argentine et d’un directeur général qui démarrera en mars 2018», se réjouit Renata Jacobs. Accro au travail, elle n’est pas prête à prendre sa retraite.

«Lorsque j’ai vu des enfants ne rien faire, je me suis dit qu’il fallait absolument soutenir leur éducation»

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