Le Temps

L’UE ne veut pas taxer toute seule et trop fort les géants du numérique

- SOLENN PAULIC, BRUXELLES

Les Européens ne veulent pas d’une fiscalité numérique qui les discrimine par rapport au reste du monde et ont envoyé ce message très clair jeudi soir au président français Emmanuel Macron. Ils recommande­nt de tenir compte des travaux de l’OCDE

L’Union européenne (UE) a toujours bel et bien l’intention d’avancer sur la taxation des géants du numérique, chantier qu’elle a décidé d’ouvrir en septembre sous l’impulsion de Paris et de quelques autres capitales. Mais elle le fera à la lumière des travaux internatio­naux menés dans le cadre de l’OCDE.

C’est le message qu’ont envoyé jeudi soir à Bruxelles les dirigeants européens, infligeant ainsi un léger revers au président français, Emmanuel Macron, qui souhaitait mettre l’Union à l’avant-garde de ce combat contre l’érosion fiscale mais dont l’empresseme­nt à agir n’a pas fait que des heureux.

Discrimina­tion

Officielle­ment, rien ne change dans la volonté des Européens de s’attaquer aux difficulté­s qu’ils ont à taxer de manière homogène ces grandes entreprise­s du numérique que sont Google, Amazon, Uber, Facebook ou Airbnb, désormais connus sous l’acronyme GAFA. Mais plusieurs dirigeants, à commencer par le premier ministre du Luxembourg, Xavier Bettel, ont voulu mettre le sujet sur la table jeudi soir, inquiets que l’UE ne fasse cavalier seul et mette en péril sa compétitiv­ité.Xavier Bettel l’a assuré haut et fort: le Luxembourg n’a pas de problème avec le fait de taxer les entreprise­s, il est même «inacceptab­le» que certaines d’entre elles ne paient pas d’impôts. Mais il faut assurer un «level playing field» et ne pas discrimine­r les entreprise­s qui paieraient plus d’impôts en Europe que dans le reste du monde et seraient donc tentées de fuir.

Le premier ministre belge, Charles Michel, a aussi résumé très clairement le ton de la discussion qui «a été l’occasion de constater avec franchise qu’il y a un certain nombre de pays qui sont réticents à avancer vers une stratégie plus commune», a-t-il confié jeudi soir.

La plupart des Etats européens étaient d’ailleurs sur cette ligne: convaincus qu’il faut faire quelque chose mais prudents sur le fait que l’UE ne peut pas créer pour elle des règles trop strictes qui la pénalisera­ient, a relaté une source diplomatiq­ue. Et le Luxembourg n’a pas été soutenu que par des petits pays: «L’Allemagne et le Royaume-Uni ont aussi appuyé cette démarche», indique cette source.

Le premier ministre irlandais, Leo Varadkar, avait lui aussi, dès son arrivée à Bruxelles, fait cette mise en garde. Si l’UE devait ainsi introduire seule une taxe sur le chiffre d’affaires, comme le prône la France, au lieu de collecter un impôt, l’UE fournirait un avantage aux EtatsUnis, au Japon ou au Royaume-Uni post-Brexit.

Des affirmatio­ns qu’a balayées Emmanuel Macron hier lors d’un point presse. «Ce n’est pas vrai que les géants comme Google ou Facebook quitteraie­nt l’UE» si une taxation commune était mise en place.

Pas de «défaite» ou de «victoire»

Sur ce dossier «on ne doit pas parler de défaite ou de victoire, ce n’était pas une bataille», reprend en tout cas une autre source, affirmant qu’il serait exagéré de dire que la France a reçu hier un sérieux camouflet.

Car dans les faits, la Commission européenne est toujours invitée à faire des propositio­ns au début de 2018. L’OCDE doit pour sa part venir avec des pistes de travail sur la fiscalité numérique vers avril 2018. La France aurait certes préféré ne pas voir apparaître cette référence à l’OCDE mais s’est justement battue pour obtenir cette référence de calendrier aux travaux de la Commission.

Dans une communicat­ion publiée en septembre, la Commission avait discerné trois axes possibles d’action sur le court terme, dans le cas où l’OCDE n’agirait pas assez vite: une taxe ciblée sur le chiffre d’affaires généré par les entreprise­s numériques dans chaque pays européen et non plus sur le bénéfice, une retenue à la source sur les transactio­ns numériques ou une forme de prélèvemen­t sur les revenus générés par la fourniture de services numériques ou les activités publicitai­res.

Mais elle avait aussi clairement indiqué sa préférence. Notre démarche première a toujours été d’opter «pour des solutions multilatér­ales et internatio­nales, étant donné la nature globale de ce problème», explique une source européenne. La Commission fera donc en sorte de nourrir les travaux de l’OCDE, notamment sur les règles de l’établissem­ent stable. Mais si l’UE devait alors constater que ces pistes ne suffisent pas, elle pourrait alors envisager d’autres mesures à son échelle, assure-t-elle. Des mesures qui requièrent néanmoins l’unanimité des Etats membres, comme cela est la règle en Europe en matière fiscale.

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(REUTERS/YOAN VALAT/POOL) Emmanuel Macron visite le site d’Amazon à Boves près d’Amiens.

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