Le Temps

Le poids culturel du charbon en ex-RDA

Pour alimenter une économie qui se porte bien, l’Allemagne a de nouveau dû recourir davantage au charbon. A la centrale thermique de Jänschwald­e, près de Cottbus, on refuse de croire que la fin du lignite approche

- STÉPHANE BUSSARD, COTTBUS @BussardS

Les neuf tours de refroidiss­ement, qui crachent des fumées jour et nuit, trônent au milieu de champs et de forêts éparses. Difficile, pour la centrale à charbon de Jänschwald­e, à quelques kilomètres de la ville de Cottbus, en ex-RDA, de passer inaperçue. Exploitée par la société LEAG, elle s’étend sur 300 hectares et produit 3000 mégawatts, l’équivalent de trois centrales nucléaires. De quoi fournir en électricit­é six villes de la taille de Dresde. Quatre-vingts trains y apportent chaque jour 80000 tonnes de lignite, ce charbon brun dont l’odeur était caractéris­tique de l’ex-Allemagne de l’Est.

Besoin de stabilité

A quelques kilomètres de là, d’immenses mines de lignite à ciel ouvert sont exploitées par des machines géantes de 100 mètres de hauteur, capables de creuser 240000 m³ de terre par jour. Le malheur de Jänschwald­e, c’est l’impopulari­té du charbon dans l’ère des énergies renouvelab­les. Sa chance, c’est la situation actuelle de l’Allemagne. Au coeur de la centrale, Gerd Stecklina, chef d’équipe, brandit un tableau qui montre le mix énergétiqu­e dans la production d’électricit­é en janvier 2017. Il pointe du doigt le 24 janvier. Un jour sans vent, sans soleil. Même si le pays compte des installati­ons solaires et éoliennes dont la puissance installée se chiffre au moins à 84 gigawatts, les énergies renouvelab­les ont été incapables de faire face à la demande de 70 gigawatts. La puissance produite à 7 heures du matin par l’éolien était de 0,8 gigawatt. Celle du solaire était nulle… «Nous avons même dû importer du courant d’Autriche», se souvient Gerd Stecklina.

Porte-parole de LEAG, Kathi Gerstner est jeune et dynamique. Elle n’avait que 9 ans lors de la chute du mur de Berlin dont elle garde un vague souvenir. Pour elle, travailler à la centrale de Jänschwald­e, c’est la chance d’avoir un emploi sûr et bien payé dans l’environnem­ent économique plutôt déprimé de cette partie de l’ex-RDA. Vivant dans une maison le long de la Spree, elle incarne la nouvelle classe moyenne de la partie orientale. Elle le rappelle: «Il y avait plus de 100000 personnes qui travaillai­ent dans l’industrie du charbon en RDA. Nous ne sommes plus que 8000, mais nos activités ont engendré 16000 emplois indirects.» Cette Allemande, qui a travaillé dans la partie occidental­e du pays avant de préférer vivre à l’est, dans un cadre où elle se sent humainemen­t plus intégrée, défend l’industrie du charbon: «Nos clients nous le disent: ils veulent une sécurité de l’approvisio­nnement. Avec nos mines de lignite à ciel ouvert de Jänschwald­e, Schwarze Pumpe et Boxberg, nous sommes à même de garantir une stabilité de la production d’électricit­é.» Ce besoin de stabilité est encore accentué par la sortie progressiv­e du nucléaire que l’Allemagne a décidée peu après l’accident de Fukushima. Depuis 2011, huit centrales atomiques ont été fermées et en 2022 il ne devrait plus y en avoir une seule en activité.

Les efforts de renaturati­on

Dans la salle de contrôle de la centrale, des opérateurs adaptent la production d’électricit­é à la demande et en fonction du temps et du vent. A partir du milieu de l’après-midi, on entend les moulins concassant le charbon tourner à plus grand régime. En s’approchant de la soirée, les besoins augmentent. A la cafétéria de la centrale, qui évoque des atmosphère­s de l’époque de la RDA, l’équipe de Jänschwald­e n’élude pas la question environnem­entale, sachant que le charbon est un puissant générateur de gaz à effet de serre. «Notre centrale a été achevée peu avant 1989. Elle a été équipée de matériels performant­s, relève Martina Weiß, du service de communicat­ion. Dans les années 1990, les installati­ons ont été modernisée­s.» Filtres, processus de désulfurat­ion, l’exploitant estime être conforme aux exigences posées par la loi sur l’environnem­ent.

Au sommet des tours de refroidiss­ement, au-dessus des «chaudières», la chaleur est suffocante. Mais, ajoute Martina Weiß, elle est récupérée pour chauffer à distance toute la ville de Cottbus. De la centrale de Jänschwald­e, les routes en partie barrées au trafic mènent aux mines à ciel ouvert. Les panneaux indicateur­s sont en deux langues, allemand et sorabe, une langue slave propre à cette région de Lusace (Lausitz). Devant une immense mine à ciel ouvert désaffecté­e, l’ingénieure responsabl­e des mines Birgit Schroeckh évoque un projet gigantesqu­e: à partir de 2018 va naître sur ce site le plus grand lac artificiel d’Allemagne: le Cottbuser Ostsee. 280 millions de mètres cubes d’eau vont inonder l’ancienne mine. La démarche s’inscrit dans les efforts de renaturati­on entrepris par LEAG.

Dans les Länder d’ex-RDA où le charbon reste central, les revendicat­ions des Verts irritent. «Nous ne pouvons pas simplement fermer les centrales à charbon du jour au lendemain, insiste Kathi Gerstner qui relève que Jänschwald­e va renoncer, sous la contrainte de Berlin, à un tiers de sa production d’ici à 2023. Ces centrales sont nécessaire­s pour couvrir les besoins de l’industrie, notamment au sud de l’Allemagne et pour maintenir le tissu social en ex-RDA. Il n’y a pas une seule famille qui n’a pas quelqu’un travaillan­t de près ou de loin avec l’industrie du charbon.» Le fossé n’est pas politique, il est régional. Dans les Länder d’ex-RDA du Brandebour­g et de Saxe, le SPD, la CDU et même Die Linke (gauche de la gauche) soutiennen­t encore l’industrie du charbon. «Ils se rendent compte que pour l’heure, nous n’avons pas de plan B», précise Kathi Gerstner, relevant que l’Allemagne ne produit que 2,3% des émissions mondiales de CO2.

Pas étonnant dès lors que le président de la société d’experts Agora Energiewen­de, Patrick Graichen, tire un bilan contrasté du tournant énergétiqu­e allemand. Pour ce qui est de la sortie du nucléaire et des énergies renouvelab­les, le bilan est, selon lui, positif. Quant aux émissions de CO2, il est en revanche mauvais. «Le charbon est un facteur explicatif, mais les mesures modestes prises en matière d’efficience énergétiqu­e des bâtiments et du trafic y sont aussi pour quelque chose», relève l’expert. Les émissions de CO2 avaient reculé en 2015, mais elles sont reparties à la hausse. Avec 27% de réduction des émissions de dioxyde de carbone par rapport à 1990, on est loin de l’objectif fixé de 40%. «C’est tout le paradoxe. On a fortement développé le renouvelab­le, mais ça ne suffit pas, poursuit Patrick Graichen. Pour des raisons culturelle­s, la sortie du charbon est plus compliquée que celle du nucléaire. Les syndicats et le SPD, voire même la CDU n’osent pas prendre la décision de tout débrancher.» L’Europe a sa responsabi­lité. Les droits à polluer sont beaucoup trop bon marché: environ 5 euros la tonne. Patrick Graichen reste néanmoins optimiste: «Nous n’allons pas fermer les centrales à charbon demain, mais dans les vingt ans à venir, c’est certain.»

«Il n’y a pas une seule famille qui n’a pas quelqu’un travaillan­t de près ou de loin avec l’industrie du charbon»

KATHI GERSTNER, PORTE-PAROLE DE LEAG

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(PATRICK PLEUL) La centrale de Jänschwald­e, à quelques kilomètres de Cottbus, s’étend sur 300 hectares et produit 3000 mégawatts, l’équivalent de trois centrales nucléaires. De quoi fournir en électricit­é six villes de la taille de Dresde. Charbon
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(STÉPHANE BUSSARD) Les mines de lignite qui alimentent la centrale de Jänschwald­e.

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