Trump change du tout au tout sa stratégie afghane
Englué dans le bourbier afghan mais conscient qu’un retrait précipité des troupes américaines renforcerait talibans et djihadistes, le président américain a pris la décision de trahir ses promesses de campagne
Il a fini par céder aux généraux qui l’entourent, le ministre de la Défense James Mattis en tête. En janvier 2013, Donald Trump écrivait encore sur Twitter: «Quittons l’Afghanistan. Nos troupes se font tuer par des Afghans que nous entraînons et nous gaspillons des milliards là-bas. Absurde! Il faut reconstruire les Etats-Unis.» Lundi soir, revirement total de position: depuis la base militaire de Fort Myer, au sud-ouest de Washington, il a présenté sa «stratégie afghane» pour continuer d’aider le régime de Kaboul à contrer talibans et djihadistes.
Aucune indication sur le nombre de soldats supplémentaires qui pourraient y être déployés, pas la moindre esquisse de calendrier des opérations, mais une certitude: «On ne dira pas quand on attaquera, mais on attaquera.» Cette absence de précisions peut être interprétée comme un choix stratégique. Elle résulte très probablement aussi de désaccords entre Donald Trump et ses stratèges, ainsi que d’une volonté de ne pas brusquer sa base électorale. Le «plan afghan» a mijoté de longs mois dans la cuisine de la Maison-Blanche. Le 19 juillet dernier, dans la Situation Room, Donald Trump semblait encore hésiter. Il donne aujourd’hui l’impression de naviguer à vue.
Dans la même impasse que Barack Obama
Lundi, c’est par un inhabituel aveu que le président, qui vient d’affronter une des semaines les plus difficiles de son mandat, a admis avoir changé de position. «Mon instinct initial était en faveur du retrait des troupes, et j’ai tendance à toujours suivre mon instinct. Mais les décisions sont très différentes lorsque vous êtes dans le Bureau ovale», a-t-il souligné, ajoutant qu’il avait analysé le dossier afghan dans ses moindres recoins.
Dans les faits, Donald Trump se retrouve dans la même impasse militaire que son prédécesseur Barack Obama. Jusqu’à quand l’armée américaine va-t-elle devoir appuyer le pouvoir afghan, miné par la corruption et des querelles ethniques? Sans stratégie à long terme, cette question, cruciale, reste dans les limbes. Un retrait précipité serait dangereux, car il créerait un «vide» qui profiterait aux «terroristes de l’Etat islamique et d’Al-Qaida»: c’est la seule chose dont le président veut aujourd’hui se convaincre. C’est bien la crainte de répercussions directes sur la sécurité des EtatsUnis qui le pousse à ne pas lâcher l’Afghanistan, à augmenter la pression sur le Pakistan, «refuge» pour des «agents du chaos», et à laisser la porte ouverte à un accord politique avec «certains talibans».
Amorcée après les attentats du 11 septembre 2001 pour déloger le régime taliban au pouvoir à Kaboul, cette guerre est la plus longue de l’histoire des EtatsUnis. Seize ans après son début, l’édifice démocratique afghan reste très fragile. Depuis janvier, plus de 1662 civils ont été tués et 3581 blessés, un chiffre record, dénonce un rapport de l’ONU publié mi-juillet.
Elu sur la promesse de mettre fin à la guerre en Afghanistan, Barack Obama avait dû revoir ses plans. Il espérait pouvoir annoncer le retrait total des troupes d’Afghanistan pour fin 2016, mais a dû y renoncer en raison de l’instabilité du pays. En juillet 2016, le président démocrate a précisé que les Etats-Unis maintiendraient 8400 soldats en Afghanistan jusqu’en 2017. C’est le nombre actuel de soldats déployés sur place. Ils font partie d’une force internationale de 13500 soldats. Aujourd’hui, les généraux qui entourent le président américain seraient en faveur de l’envoi de 4000 hommes supplémentaires. Le pic le plus élevé de l’engagement américain était de 100000 hommes. Depuis 2001, 2400 soldats américains ont déjà perdu la vie en Afghanistan, plus de 20000 ont été blessés.
Un «nouveau cimetière» pour les soldats américains
Mais 4000 soldats en plus feraient-ils vraiment la différence? La plupart des analystes en doutent. Pire, ils craignent une accentuation du chaos, avec de nombreuses pertes civiles à la clé. Les talibans ont d’ailleurs déjà réagi à l’annonce américaine: ils prédisent aux Américains un «nouveau cimetière» s’ils s’obstinent à conserver leurs troupes dans le pays.
Englué comme son prédécesseur dans le bourbier afghan, contraint à des compromis insatisfaisants, Donald Trump hausse surtout le ton envers le Pakistan. Le pays assure ne plus abriter de «structure terroriste organisée», mais le chef du Pentagone continue de pointer du doigt le réseau Haqqani, allié des talibans afghans. En juillet, les Etats-Unis ont suspendu 50 millions de dollars d’aide militaire à Islamabad pour dénoncer ce double jeu opéré depuis des années. Et la pression va augmenter. Pour le président américain, «le Pakistan a beaucoup à gagner en collaborant à nos efforts en Afghanistan et beaucoup à perdre en continuant d’abriter des terroristes».
Pour l’instant, c’est surtout à ce niveau que Donald Trump peut espérer obtenir des résultats, sans quoi la reconstruction de l’Afghanistan, dans laquelle les Etats-Unis ont déjà investi près de 1000 milliards de dollars, restera vaine. Ses prédécesseurs s’y sont cassé les dents.
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«J’ai tendance à toujours suivre mon instinct. Mais les décisions sont très différentes lorsque vous êtes dans le Bureau ovale» DONALD TRUMP