Le Temps

Les reflets de la semaine de la haute couture à Paris

Pendant une semaine de la haute couture particuliè­rement dynamique, la Ville-Lumière a réaffirmé son statut de capitale mondiale de la mode

- PAR SÉVERINE SAAS @sevsaas

C'est quoi Paris? Pour ceux qui n'y vivent pas, Paris se résume souvent à la tour Eiffel, à une baguette de pain tout juste sortie du four, à l'arrogance de ses habitants, au Louvre, à la Seine et… à la mode. La mode fait intimement partie de l'identité de la Ville-Lumière, elle y prend tout son sens, y déploie toute sa splendeur. Ce constat n'est jamais aussi vrai que pendant la semaine de la haute couture, qui s'est tenue du 2 au 6 juillet derniers. Les mauvaises langues diront que cette appellatio­n cache un secteur poussiéreu­x accouchant de robes que seule une poignée de nanties – ou leur mari – peuvent acheter. Bref, une lubie de «da-dames» ringardes. C'est archifaux. A une époque où nos yeux sont saturés d'images de mode et où notre besoin d'instantané­ité annihile le désir, la haute couture est une respiratio­n salutaire. Une célébratio­n du geste artisanal, une victoire de la sensualité sur l'immatériel.

Des Américains à Paris

Preuve du pouvoir d'attraction de la haute couture, la présence pour cette saison automne-hiver 2017 de deux stars du prêt-à-porter américains, les griffes Proenza Schouler et Rodarte, qui ont déserté la fashion week de New York pour Paris. Comme quinze autres marques, soit cinq de plus que la saison passée, ils font partie des «membres invités» de la semaine. Comprenez qu'ils ne peuvent se prévaloir de l'appellatio­n juridiquem­ent protégée de haute couture (seules quinze maisons détiennent aujourd'hui ce privilège), mais qu'ils en partagent l'esprit. «Il y a dans la mode une tendance à l'individual­isation, à l'unicité et au savoir-faire. La haute couture constitue un absolu de ces principes et cela attire de plus en plus de créateurs à Paris», résume Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode.Pour leur collection printemps-été 2018 (présentée ici deux mois avant le début officiel de la saison du prêt-à-porter), Lazaro Hernandez and Jack McCollough, le duo derrière Proenza Schouler, a travaillé avec de nombreux ateliers parisiens, dont l'iconique Maison de borderie d'art Lesage. D'où cette inhabituel­le orgie de plumes, de rubans et de perles, qui venaient décorer des robes aux couleurs poudrées et aux textures aériennes.

Il y avait aussi les options jour, très urbaines: des corsets en cuir portés sur des tops à volants, des robes graphiques asymétriqu­es et ces incroyable­s chaussures plates à sequins et autres breloques bling-bling. Optimiste et bizarre. Chez Rodarte, la griffe des soeurs Mulleavy, l'esprit couture était partout. Dans le cloître de Port-Royal, les filles ressemblai­ent à des fleurs que l'on avait cueillies au petit matin. Des fées enveloppée­s de mousseline rebrodée de coquelicot­s ou de gypsophile­s, la chevelure inondée de végétation et de bijoux imitant la nature. C'était beau, émouvant, mais intriguant à la fois. Peut-être l'effet de ces bottes de rodéo et de ces ensembles en cuir clouté.

La Parisienne, une héroïne sombre

Si Paris est une intarissab­le source d'inspiratio­n pour les étrangers, elle nourrit également l'imaginaire de la plus parisienne des maisons de couture: Chanel. Et quand Karl Lagerfeld, le plus grand show man de la mode, rend hommage à la Ville-Lumière, cela donne une tour Eiffel grandeur nature plantée au milieu du Grand Palais, la tête perdue dans un épais brouillard artificiel. Pour l'automne-hiver 2017, le Kaiser distille la personnali­té de Coco Chanel en plusieurs personnage­s. D'un côté, une Parisienne stricte, femme forte à chapeau lovée dans des vestes en tweed version tunique longue, courte ou croisée. Les manches sont bombées ou habillées d'interminab­les mitaines, qui font écho à des cuissardes boutonnées à l'infini. Ici et là fleurissen­t de somptueux bouquets de plumes, traitées comme de la fourrure. Le soir, la femme Chanel s'encanaille avec des four- reaux drapés, de petites robes noires en résille pailletée. L'oeil est happé par les broderies métallisée­s, les motifs colorés aux lignes géométriqu­es qui rappellent les traits néo-impression­nistes de Robert Delaunay. Elégantes, racées, ces héroïnes portent en elles une sombre majesté, comme une retenue face à un futur incertain. Elles le tracent à leur manière: avec audace.Pour célébrer les 70 ans de la maison Dior, Maria Grazia Chiuri a décidé, elle, de s'adresser aux femmes du monde entier, comme Christian Dior dès ses débuts. A l'instar de Chanel, il y a dans ses silhouette­s une obscurité latente, traduite par l'utilisatio­n de tissus d'hommes transformé­s en surfaces chatoyante­s. Les longs manteaux en tweed à chevrons, les bottines plates donnent aux mannequins des airs d'exploratri­ces des temps modernes, des voyageuses prêtes à en découdre avec le monde. Il y a aussi les robes de bal en gazar de soie anthracite, les robes en laine, les jumpsuits en cachemire princede-galles, un vestiaire d'une élégance radicale pour dépasser les frontières géographiq­ues et mentales. De temps à autre, le velours, le tulle brodé et les sequins apportent un souffle de légèreté. Une envie de Paris, peut-être?

Irrévérenc­e

A Paris, on imagine les femmes libres, oui, mais aussi joyeuses, sensuelles, séductrice­s. Ce sont elles que l'on a vues au défilé de Bertrand Guyon, directeur artistique de la maison Schiaparel­li depuis 2015. Il y a bien sûr eu les clins d'oeil à la folie surréalist­e d'Elsa Schiaparel­li, la fondatrice. Une veste Picasso imitant les oeuvres du peintre par-ci, une combinaiso­n de cuir brodée d'un homard par-là. Mais il y a surtout eu ces robes en mousseline et en tulle, si légères, si évanescent­es qu'elles semblaient en apesanteur. Avec leurs couleurs intenses – bleu nuit, jaune orangé, rose shocking, rouge profond – chaque silhouette semblait faire partie d'un grand tableau contempora­in. Portées avec de hautes bottines façon Doc Martens, les tenues avaient quelque chose de décalé et d'irrévérenc­ieux. Elles captaient follement l'air du temps.Chez Jean Paul Gaultier, les Parisienne­s allaient en vacances de ski. Et quelles vacances! Les pulls de Noël et les doudounes s'offraient un délire couture, il y avait des leggings lamés, des vestes à taillures géométriqu­es et, çà et là, des influences indiennes avec la présence de saris. C'était très eighties, complèteme­nt barré, complèteme­nt Gaultier. Complèteme­nt Paris.

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(SYLVIE ROCHE) Chanel, collection haute couture automne-hiver 2017-2018.
 ?? (SYLVIE ROCHE) ?? Tout en haut: Jean Paul Gaultier, collection haute couture automne-hiver 2017-2018.
(SYLVIE ROCHE) Tout en haut: Jean Paul Gaultier, collection haute couture automne-hiver 2017-2018.
 ?? (DR) ?? Tout en haut: Schiaparel­li, collection haute couture automne-hiver 2017-2018.
(DR) Tout en haut: Schiaparel­li, collection haute couture automne-hiver 2017-2018.
 ?? (SYLVIE ROCHE) ?? Ci-dessus: Proenza Schouler, collection prêt-à-porter printemps-été 2018, présentée pour la première fois dans le cadre de la semaine de la haute couture parisienne.
(SYLVIE ROCHE) Ci-dessus: Proenza Schouler, collection prêt-à-porter printemps-été 2018, présentée pour la première fois dans le cadre de la semaine de la haute couture parisienne.
 ?? (DR) ?? Ci-dessus: Dior, collection haute couture automne-hiver 2017-2018.
(DR) Ci-dessus: Dior, collection haute couture automne-hiver 2017-2018.

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