Le Temps

«L’UDC inspire l’extrême droite allemande»

- PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE ZÜND @celinezund

LIVRE La correspond­ante en Suisse du quotidien «Süddeutsch­e Zeitung» s’intéresse aux parallèles entre l’UDC et le parti populiste allemand AfD

La journalist­e allemande Charlotte Theile se souvient bien de sa première rencontre avec l’UDC: elle a été choquée par le contraste entre l’ambiance bon enfant – saucisses grillées – et les propos «ouvertemen­t racistes».

Dans un livre, elle explore les différence­s et les similitude­s entre l’UDC et le parti populiste de droite allemand Alternativ­e für Deutschlan­d (AfD). Si Christoph Blocher et son parti tiennent à se distancier des mouvements d’extrême droite européens, les populistes allemands ne manquent pas de les citer en exemple. L’AfD admire la façon dont l’UDC a pu imposer ses thèmes dans le système de démocratie directe et «réussir à faire entrer sa manière xénophobe de voir le monde dans la normalité». Selon Charlotte Theile, certains propos perçus comme «très conservate­urs» en Suisse seraient qualifiés de «racistes» dans une Allemagne qui a vécu le nazisme. Ce qui explique la différence de perception des deux partis dans leur pays.

POLITIQUE La correspond­ante en Suisse du quotidien allemand «Süddeutsch­e Zeitung» explore les similitude­s entre l’extrême droite allemande et l’UDC

Charlotte Theile, 29 ans, couvre l'actualité suisse pour la Süddeutsch­e Zeitung depuis 2014. Dans un livre* qui vient de paraître, elle analyse l'admiration qu'entretient le parti populiste de droite allemand AfD (Alternativ­e für Deutschlan­d) à l'égard de l'UDC et du système de démocratie directe helvétique.

D’où vient votre intérêt pour les liens entre l’AFD et l’UDC? Mon premier contact avec l'UDC, trois semaines après mon arrivée en Suisse, a été un choc. C'était lors d'un rassemblem­ent de la section argovienne du parti, dans un village. On servait des gâteaux maison et des saucisses grillées dans une atmosphère bon enfant et familiale, tout en tenant des propos ouvertemen­t racistes. Une femme exprimait sa peur d'être «exterminée» par l'arrivée de requérants d'asile. Un homme appelait à l'aide parce qu'une centaine de réfugiés avaient été placés dans son village. Je me suis demandé: mais comment est-ce possible?

Les réactions sont-elles différente­s en Allemagne? Il y a une grande différence qui tient au passé nazi de l'Allemagne. On se montre beaucoup plus attentif à toute forme d'expression de racisme. Lorsque j'entends certains propos, mes lampes tournent au rouge, alors qu'ici cela semble banal. Certains propos décrits comme très conservate­urs en Suisse seraient qualifiés en Allemagne de racistes.

Pensez-vous que la Suisse est raciste? Non, ce serait un raccourci. L'UDC, même si elle est le plus grand parti avec 30% de l'électorat, ne représente pas la majorité des citoyens. Mais ce parti a réussi à faire entrer sa manière xénophobe de voir le monde dans la normalité. Ce qui m'a mis la puce à l'oreille et m'a convaincu de faire ce livre, c'est l'attitude de Christoph Blocher, invité sur le plateau de l'émission politique de la SRF Arena, face à Alexander Gauland. Le patron de l'UDC était nerveux à l'idée d'être associé au porte-parole de l'AfD, il a insisté pour ne pas être placé à côté de lui. Pourquoi tient-il tant à se distancer alors même qu'ils ont tant en commun?

Qu’ont justement ces deux partis en commun? Du point de vue du contenu, il y a beaucoup de parallèles, parfois même du copier-coller. Le programme de l'AfD s'inspire de l'UDC en ce qui concerne l'école, la politique migratoire ou la contestati­on des valeurs de la constructi­on européenne. Toutes deux se présentent comme des représenta­ntes du peuple contre les élites et font du rétablisse­ment des frontières un thème prioritair­e.

Au-delà des idées, quels sont les liens concrets? Alexander Segert, dont l'agence publicitai­re réalise les campagnes de l'UDC, est aujourd'hui au service de l'«Associatio­n pour la préservati­on de l'état de droit et les libertés civiles», une associatio­n qui fait de la publicité pour l'AfD. Les relations se nouent au niveau individuel. L'ASIN, par exemple, a invité Frauke Petry en Suisse en 2016.

Pourtant les deux partis n’ont pas la même histoire. L’UDC est issue d’une formation paysanne modérée, une aile qui continue à s’exprimer jusqu’à ce jour dans ses rangs. Et elle appartient au système politique à part entière. Les deux partis se différenci­ent en effet sur plusieurs points. L'AfD tient un discours expansionn­iste et rêve d'une grande Allemagne. C'est tout le contraire du côté de l'UDC, qui se limite aux frontières de la Suisse et cultive le «Sonderfall». L'UDC, avec son chien Willy, ses images de montagnes et de soleil, se donne une image sympathiqu­e et inoffensiv­e, tandis que l'AfD se montre plus agressive et militaire. L'AfD est une formation jeune et chaotique qui se cherche encore un leader, tandis que l'UDC a trouvé en la personne de Christoph Blocher un chef fédérateur. Mais il y a beaucoup plus de ressemblan­ces que ce que la plupart des observateu­rs suisses veulent bien admettre.

Vous vous étonnez du faible écho, en Suisse, que suscitent les louanges de l’extrême droite allemande de l’UDC… Pour de nombreux intellectu­els, de gauche ou de droite, avec qui je me suis entretenue en Suisse, l'admiration des populistes pour leur système politique est basée sur une méconnaiss­ance: la démocratie directe et son subtil équilibre des pouvoirs ne peuvent être favorables aux extrême droite européenne­s autoritair­es. C'est toute la question: la démocratie directe sert-elle ou dessert-elle les populistes? L'AfD admire justement l'UDC car elle utilise ces outils démocratiq­ues pour imposer à l'agenda les thèmes de la migration et de la sécurité, sans pour autant être taxée d'extrême droite.

Pourtant les récents échecs de l’UDC en votation montrent qu’elle peut être freinée par ces mêmes outils. Je ne conteste pas la valeur de la démocratie directe. Elle permet aussi de mettre sur la table des sujets sensibles et sert de soupape. Il vaut mieux que l'extrême droite s'exprime via référendum qu'en brûlant des centres pour requérants d'asile… En revanche, contrairem­ent aux attentes de ses opposants, le fait que l'UDC soit représenté­e au gouverneme­nt et au parlement n'en a pas fait un parti plus modéré. Avec le temps, il a plutôt durci son discours et tiré la société suisse vers la droite. Ses postures conservatr­ices sont devenues mainstream et c'est ce qui plaît tant à l'AfD, qui cherche aussi à se donner un visage plus raisonnabl­e et acceptable.

Vous avez parlé avec des membres de l’UDC de leurs similitude­s avec l’AFD. Qu’en disent-ils? Officielle­ment ils se distancien­t de l'AfD et n'aiment pas en parler. Je me suis entretenue avec Christoph Blocher et j'ai senti que c'est un thème sensible. Il pèse ses mots et nie tout lien avec les droites populistes européenne­s. Il sait que c'est un sujet dangereux. L'une des principale­s difficulté­s rencontrée­s par les partis d'extrême droite, en France, en Allemagne, ou aux Pays-Bas, c'est de devoir se distancer d'un passé colonialis­te ou nazi et de courants violents. L'UDC n'a pas ce problème et cela fait partie de son succès. ■

* Faut-il arrêter l’AfD? La suisse comme modèle de la nouvelle droite, Charlotte Theile, Editions Rotpunktve­rlag.

«L’AfD admire l’UDC car elle utilise la démocratie directe pour imposer les thèmes de la migration et de la sécurité»

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CHARLOTTE THEILE CORRESPOND­ANTE EN SUISSE DE LA «SÜDDEUTSCH­E ZEITUNG»

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