UN CONTE DE FÉES SIGNÉ FRED VARGAS
«Quand sort la recluse», une nouvelle histoire du commissaire Adamsberg, qui fait la part belle aux intuitions, aux fables, aux animaux et à l’histoire
Les polars de la romancière française oscillent entre monde réel et celui des merveilles. «Quand sort la recluse» joue sur les paniques anciennes et enfantines.
L’araignée – ici, en «The Blue Widow», habillée de douce fourrure par l’artiste Pino Pascali – joue sur nos peurs, mais aussi sur les réminiscences de l’enfance.
Certains romans policiers ont des allures de contes de fées. Ceux de Fred Vargas oscillent souvent entre le monde réel et celui des merveilles, se nourrissent de mythologies, d’histoires, de fables. Des fables dont le héros est, depuis nombre de romans, l’insaisissable et nébuleux commissaire Adamsberg. Comme les contes à faire peur, Fred Vargas, joue sur des paniques anciennes et enfantines. Le dégoût des rats, la terreur du loup, l’effroi face aux vampires et aux fantômes. Ou, comme dans son dernier roman, Quand sort la recluse, la phobie sourde des araignées, sans oublier le cauchemar des ogres qui attrapent, font frémir et souffrir les petits enfants.
Nécroses foudroyantes
Velues ou lisses, graciles ou costaudes, rapides à force d’aligner les pattes – huit et non six, comme les insectes qu’elles ne sont pas, précise l’auteure –, les araignées mordent et, parfois, rarement, cela porte à conséquence. Dans le dernier roman de Fred Vargas, la vedette, se prénomme loxoceles, une araignée dotée de très longues pattes mais qui vit «recluse» – précisément –, tapie dans de douillettes cachettes, le plus souvent hors des maisons. Elle n’a pas de toile, mais un trou. Ses piqûres, rares, provoquent parfois de méchantes nécroses. Mais loxoceles n’est pas du genre à partir en vadrouille pour piquer de l’humain – même si ça peut lui arriver par accident. C’est une casanière qui sort de nuit et craint le monde extérieur.
Attributs magiques
Comment se fait-il alors, qu’en ce début de belle saison, on compte déjà trois morts, victimes de nécroses foudroyantes à la suite de piqûres d’araignée? Certes les victimes sont âgées, fragiles, exposées, et pourtant, le commissaire Adamsberg n’arrive pas à dissiper le malaise que suscite en lui cette information. On a beau le raisonner, se moquer de lui, il s’obstine. Mutation? Multiplication anormale des individus? Usage d’araignées comme arme du crime?… Dans Quand sort la recluse, Adamsberg, ami des chats et des oiseaux, s’en va consulter des arachnologues.
La science pointe son nez, comme souvent sous la plume de l’archéo-zoologue de formation qu’est Fred Vargas, mais le conte de fées reste tapi, tout près. Adamsberg, véritable pythie policière, ne cesse de scruter ses propres brumes, pour en tirer des oracles. «Des idées éparses et sans sens revenaient jouer dans sa tête, comme de minuscules bulles libérées, emplissant son esprit de gaz tumultueux qui bruissaient sans se préoccuper d’efficacité.» Un cerveau en forme de potion magique, en constante ébullition – au grand dam de son équipe éprise de rationalité – qui, pourtant, mènera le commissaire vers la fin, presque heureuse, du conte.
Comme dans les fables, ou les récits de superhéros, les acolytes de ce policier à la sensibilité exacerbée, possèdent des attributs quasi magiques. Retancourt est une femme-arbre géante, rassurante et forte; Voisenet, un zoologue passionné qui décrypte le monde en rapports animaux; Veyrenc, l’acolyte fidèle est doté d’une chevelure miraculeuse de panthère; Danglard pose en maître des mots et des livres tandis que Mathias, le préhistorien, surnommé le chasseur-cueilleur, règne sur les indices du passé. La petite bande, enrichie pour l’occasion d’une certaine Irène Royer-Ramier, arachnologue amatrice mais acharnée, avance cahincaha à travers les brumes que le commissaire Adamsberg emmène partout. Elle se retrouvera face à d’autres bandes, celle des bandits, des maléfiques, des ogres.
Brouillard
Héros brumeux oblige, la narration elle-même se perd parfois au détour d’un nuage. L’enchaînement strict et logique des faits n’est pas le fort de Fred Vargas, malgré ses scrupules scientifiques. Peu importe d’ailleurs, ce qui compte au bout du conte, c’est d’avoir, en compagnie du commissaire Adamsberg et de sa petite bande, une fois de plus arpenté ce brouillard devenu familier au fil des livres, où le présent se mêle au passé, le quotidien au récit, les souvenirs aux intuitions. D’ailleurs, dans ce roman-ci, les ténèbres semblent moins impénétrables que dans les précédents, l’intrigue paraît presque classique, même si elle explore comme il se doit chemins de traverses, fausses pistes et méandres.
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