«Tu n’iras pas dans un pays de l’OTAN»
BALKANS Après les déploiements de missiles et les coupures de gaz, Moscou détourne son flux de touristes pour punir les pays frondeurs. Dernière cible: le Monténégro, qui vient d’intégrer l’Alliance atlantique
Entre l’OTAN et les touristes russes, il faut choisir. Le Monténégro a opté pour l’alliance militaire occidentale le 28 avril par une ratification de son parlement. Depuis, Moscou multiplie les pressions sur les agences de voyages russes pour qu’elles coupent le flux des centaines de milliers de Russes qui partent chaque année se reposer dans cette destination très populaire.
«L’hystérie anti-russe s’est emparée de ce pays», a réagi fin avril la porte-parole du Ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, qui encourage ses compatriotes «à prendre en compte ce facteur». Son ministère «note l’augmentation de l’hostilité» envers les sociétés et les individus russes. Dans la foulée, plusieurs médias proches du Kremlin ont publié des articles attaquant les agences de tourisme continuant à promouvoir cette destination.
La chaîne privée Life a publié un reportage sur «ce que les agences de voyages vous cachent. Quand les profits passent avant la sécurité.» Elle décrit un pays en proie à la violence, au banditisme, aux trafiquants de drogue et à genoux devant «le grand frère américain». Plus tôt, Etoile TV, la chaîne du Ministère de la défense, s’est fendue d’un reportage apocalyptique évoquant des champs de mines non indiqués, des chutes de pierres permanentes, une criminalité galopante, des épidémies de tétanos, hépatite B, typhus et encéphalite.
Les voyagistes russes tentent de rassurer leurs clients alors que la période des réservations bat son plein. Mais sans oser démentir frontalement le pouvoir. «Nous avons consulté nos collègues au Monténégro, et personne n’a constaté la moindre hostilité envers les citoyens russes, même verbalement», insiste Irina Tiourina, représentante du syndicat des agences de voyages russes. «Pour l’instant, la pression se limite à la propagande, confie un voyagiste russe. On n’en est pas encore à l’interdiction des vols charters, comme cela s’est passé pour la Turquie et l’Egypte. En fait, ils veulent à la fois punir le Monténégro et remplir les hôtels de Sotchi et de Crimée.»
Le tourisme étant la principale industrie du Monténégro et les Russes la principale clientèle de ce pays balkanique (280000 en 2016), le «blocus touristique» risque de porter un coup sévère à l’économie de ce pays de 620000 habitants. Selon un syndicat de tour-opérateurs russe, les réservations pour le Monténégro avaient bondi de 50% entre 2015 et 2016.
«Que celui qui n’est pas loyal envers la Russie, qui a le même sang et la même langue que nous, voie la chair se détacher de son corps»
LE CHEF DE L’ÉGLISE ORTHODOXE MONTÉNÉGRINE
Tout pays touristique a désormais conscience que Moscou est décidé à orienter à sa convenance «son» flux de touriste. Si la sécurité des ressortissants russes est toujours invoquée, elle n’est souvent pas le véritable motif. Moscou a interdit les vols charters vers la Turquie après que cette dernière a abattu un bombardier russe et manifesté des intentions radicalement opposées sur le dossier syrien.
La Russie, qui se voit comme le protecteur du monde slave et orthodoxe, se hérisse à chaque fois qu’un ancien allié franchit la ligne rouge le séparant de l’OTAN. Podgorica soupçonne d’ailleurs la Russie d’être mêlée à une tentative de coup d’Etat en novembre 2016 visant à faire échouer l’intégration dans l’OTAN. Deux espions russes présumés sont en procès actuellement pour avoir participé au putsch.
Moscou met aussi en oeuvre la puissance douce. «La Russie se sert souvent de l’Eglise orthodoxe [70% de la population] pour faire passer son message», indique un rapport du cabinet d’experts américain CNA paru ce mois-ci. D’où les imprécations du leader de l’Eglise orthodoxe monténégrine contre la diplomatie gouvernementale: «Que celui qui n’est pas loyal envers la Russie, qui a le même sang et la même langue que nous, voie la chair se détacher de son corps. Qu’il soit maudit trois fois et 3000 fois par mois.»
En des termes plus mesurés, le Ministère russe des affaires étrangères a indiqué fin avril dans un communiqué: «Nous regrettons que la direction actuelle du pays et ses protecteurs occidentaux n’aient pas écouté la voix de la raison et de leur conscience […]. Nous nous réservons le droit de prendre des mesures destinées à protéger nos intérêts et notre sécurité nationale.»
La menace est modeste: l’armée monténégrine compte 1200 hommes et se trouve à plus de 1000 km de la frontière russe. En fait, derrière les rodomontades, la Russie continue à être très active, explique Vera Zakem, l’une des auteurs du rapport du CNA: «Maintenant que le Monténégro a été accepté dans l’OTAN, Moscou va s’employer à dépeindre le pays comme un Etat raté et à peser de tout son poids dans la dynamique régionale.»
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