Jean-Michel Broillet, une vie de lumière
Ange gardien de la scène genevoise, l’éclairagiste est mort à 68 ans, fauché par une voiture
La sentinelle de tant de nos nuits s’en est allée. Samedi au crépuscule, un conducteur de 77 ans a fauché son grand corps robuste, à Genève, au coeur de la Vieille-Ville. Le Genevois Jean-Michel Broillet, 68 ans, a marqué à leur insu des générations de spectateurs, de théâtre et de danse. Eclairagiste, il soignait le relief d’une comédie – les tribulations de Monique et de Roger dans Bergamote; mais aussi la vibration d’un corps – les pièces de la chorégraphe Noemi Lapzeson. Décorateur, il exauçait les voeux des metteurs en scène, avec autant de modestie que d’élégance.
Maître de la matière
Faut-il un indicateur du choc? Depuis dimanche, acteurs et techniciens ne parlent que de ça, de la férocité d’un destin aveugle et de cette absence à laquelle ils ne veulent pas se résoudre. C’est que Jean-Michel Broillet n’a pas seulement été l’un des piliers du Théâtre du Grütli, directeur technique depuis son inauguration en 1989. Il n’a pas seulement stimulé de ses idées les travaux de l’Association pour une Nouvelle Comédie, dont il fut l’un des artisans les plus passionnés. Il a escorté pendant quarante ans des dizaines de créateurs, de Claude Inga-Barbey, dont il fut le compagnon, à Marc Liebens. Et il a rendu possibles des projets parfois insensés.
«Quand nous lui demandions de bouleverser la topographie du théâtre, il disait d’abord non, en bourru qu’il était, et au bout du compte il disait toujours oui», confie la metteuse en scène Maya Bösch, qui a codirigé le Grütli entre 2006 et 2012. Philippe Lüscher, son prédécesseur, confirme cette générosité: «Il pouvait avoir affaire à des tronches, il s’adaptait. Il ne se mettait jamais en avant, son calme apaisait naturellement.»
Qui était-il, artistiquement? «Un artisan qui maîtrisait tous les aspects d’un plateau, fort d’une première carrière comme régisseur au Grand Théâtre», note Philippe Lüscher. «C’était un excellent lecteur aussi, se rappelle Maya Bösch. Nous avions des discussions très riches sur le sens d’un texte. Il voulait comprendre avant de concevoir un décor. Quant à ses lumières, elles lui ressemblaient: il aimait suggérer l’énigme des choses, il préférait la brume à la clarté sans équivoque.»
Photographe accompli
C’est que tout procède, chez lui, d’une passion pour l’image, souligne Philippe Macasdar, patron du Théâtre Saint-Gervais. «J’avais 20 ans quand je l’ai rencontré, j’ai fait alors une première mise en scène sous son aile, avec les acteurs de sa compagnie. Très vite, il m’a montré ses photos. Il voyageait beaucoup, au Japon notamment, et il revenait toujours avec un butin visuel merveilleux, parce que personnel, inattendu, profond. C’était un très grand photographe, qui n’a jamais fait d’exposition, mais qui a influencé des personnalités comme Jacques Berthet.»
Son regard tamisé par l’ironie, vous le croisiez devant la porte de la régie, au Grütli ou ailleurs. «Jean-Michel était un initiateur laconique et bienveillant, souffle Philippe Macasdar. Un endurant ultra-sensible.» Ce qu’on appelle aussi un ami capital, toujours là. Dans sa tanière d’ombre, l’homme des lumières voyait tout.
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