Erdogan au coeur de l’élection néerlandaise
Crise ouverte entre la Turquie et les Pays-Bas, dont les autorités ont refusé la venue de deux ministres du gouvernement Erdogan. Le premier ministre Mark Rutte, au coude-à-coude avec l’extrême droite de Geert Wilders, n’avait pas d’autre choix que la fer
Le premier ministre néerlandais Mark Rutte a pris le risque ce weekend d’une confrontation diplomatique inédite entre son pays et la Turquie. En refusant la venue du chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu, et, surtout en choisissant de refouler la ministre turque de la Famille, Fatma Betül Sayan Kaya, Mark Rutte a déclenché la colère du président Recep Tayyip Erdogan, qui, depuis samedi, menace et tempête sans craindre de recourir à des propos outranciers. Le chef du gouvernement néerlandais avait-il une autre option que celle de la fermeté?
Ces dernières semaines, d’autres capitales européennes se sont opposées à Ankara autour de la venue de membres de son gouvernement en campagne pour le référendum turc sur les prérogatives présidentielles. L’Allemagne et la Suisse ont ainsi préféré annuler ou limiter des manifestations politiques auxquelles étaient conviés des ministres. Pourtant, la crise entre les Pays-Bas et la Turquie a pris une ampleur sans commune mesure avec les passes d’armes qui ont opposé Berne ou Berlin à Ankara.
La raison? Cette visite avortée de deux ministres turcs intervient à trois jours des élections législatives aux Pays-Bas; elle ne pouvait pas plus mal tomber, dans un contexte où l’islam et l’immigration ont polarisé l’opinion publique. Le risque d’une récupération politique, notamment par Geert Wilders, dont le parti prône ouvertement l’islamophobie et la xénophobie, ne laissait d’autre choix au gouvernement néerlandais que d’interdire son territoire aux ministres turcs qui espéraient pouvoir mener leur propre campagne politique pour le référendum sur les prérogatives présidentielles. En fait, si le gouvernement turc avait voulu déterrer la hache de guerre avec les Pays-Bas, il ne s’y serait pas pris autrement.
Dimanche, dans une émission télévisée sur la chaîne publique NOS, Mark Rutte, dont le Parti populaire libéral et démocrate (VVD) est donné au coude-à-coude avec celui de Geert Wilders, a joué l’apaisement, faisant d’une désescalade des tensions sa priorité absolue: «Nous devons être la partie raisonnable.» Il a aussi rappelé les faits: ayant informé Ankara que la visite de la ministre de la Famille Fatma Betül Sayan Kaya n’était pas possible avant les élections de mercredi, il trouve «extraordinaire» que le gouvernement turc ait décidé de passer outre en faisant passer la ministre par la route pour éviter les contrôles.
Les menaces claires d’Ankara – Recep Tayyip Erdogan a dit vouloir faire «payer le prix» de leur action aux Pays-Bas – n’ont pas fait plier Mark Rutte, qui refuse tout chantage. Ce dernier aurait parlé huit fois ces derniers jours à son homologue turc, Binali Yildirim, sans parvenir à un accord. Parmi les points de discorde, selon Mark Rutte, le premier ministre turc parle continuellement de Turcs aux Pays-Bas alors lui estime que ce sont «des citoyens néerlandais».
Mais ce qui fâche le plus les Néerlandais, qui soutiennent majoritairement et tous partis confondus leur premier ministre, ce sont les mots employés par le président turc et certains des ministres: «nazis», «fascistes». Pour Wim, un étudiant qui participait dimanche à un débat politique sur l’islamophobie, «c’est d’autant plus inacceptable que Rotterdam, où les ministres turcs voulaient se rendre, a été largement détruit par les bombardements allemands durant la Seconde Guerre mondiale».
Par ailleurs, Rotterdam, la deuxième ville en nombre d’habitants après Amsterdam, accueille une forte population d’origine étrangère et le Parti pour la liberté de Geert Wilders y est très bien implanté.
Les manifestations de colère organisées à l’initiative d’associations turques pourraient avoir fait le jeu des islamophobes. A l’issue du premier et dernier débat télévisé entre Mark Rutte et Geert Wilders, lundi, on saura si ce dernier aura ou non réussi à récupérer cette brouille diplomatique à son avantage.
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Cette visite avortée de deux ministres turcs, à trois jours des élections législatives, ne pouvait pas plus mal tomber, dans un contexte où l’islam et l’immigration ont polarisé l’opinion publique