Le Temps

L’adieu au monde d’hier

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

C’est la fin de l’insoucianc­e. La fin de «l’âge d’or de la sécurité», pour reprendre le mot de Stefan Zweig parlant de l’Europe d’avant le suicide collectif de 1914. Comme il paraît décidément loin, ce 26 novembre 1989, quinze jours après la chute du Mur, où l’initiative «Pour une Suisse sans arme» avait recueilli, à la surprise générale, 35% des voix. Il est à craindre que le Groupe pour une Suisse sans armée ne trouve plus avant longtemps un tel écho. Et personne ne peut s’en réjouir. Car à la courte décennie marquée par la détente et un espoir de confiance entre les nations a succédé la stratégie des rapports de force.

Lundi, le ministre de la Défense, Guy Parmelin, soutiendra son Rapport de politique de sécurité 2016 devant le Conseil des Etats. Il faut s’attendre à ce que les voix critiques soient moins nombreuses et moins virulentes que lors du passage du précédent rapport 2010 sous l’autorité d’Ueli Maurer. Parce que l’analyse du Conseil fédéral tient mieux compte des nouvelles menaces – cyberattaq­ues, cyberingér­ences, guerres asymétriqu­es, terrorisme – ou de l’insécurité provoquée par le Brexit et la politique musclée de Moscou, ou encore d’un éventuel désengagem­ent des Etats-Unis au sein de l’OTAN. Mais surtout parce que le climat en Europe a radicaleme­nt changé en une année. Au point que, au sein même de la gauche critique envers le lobby militaire, le ton s’est fait plus conciliant.

Crise des démocratie­s libérales, montée des régimes autoritair­es, terreur des groupes djihadiste­s, déstabilis­ation complète au MoyenOrien­t, poussées migratoire­s: à juste titre, les opinions s’inquiètent de la fin de l’ordre ancien, la suprématie occidental­e, et de l’absence d’un nouvel ordre du monde.

Dans les dix ans qui ont suivi la chute du Mur, les dépenses militaires mondiales avaient baissé de 33%. Mais, entre 2012 et 2016 seulement, on assiste à une remontée de 8,4% des ventes d’armes. Donald Trump souhaite augmenter de 9%, soit de 54 milliards de dollars, son budget militaire en 2018. La relance du budget de défense en Allemagne, 7% cette année, est un retourneme­nt historique. Les deux candidats à la Chanceller­ie, Angela Merkel et Martin Schulz, ont annoncé vouloir faire passer ces dépenses de 1,2% actuelleme­nt à 2% du PIB afin de jouer un rôle plus important au sein de l’OTAN. En France, le socialiste Benoît Hamon proposait même, durant la primaire de la gauche, de passer de 1,7 à 3% du PIB.

Mais le plus marquant reste la décision du gouverneme­nt suédois de rétablir le service militaire dès 2018, en espérant convaincre quelque 4000 recrues de s’engager chaque année, sur les 13000 jeunes convoqués aux opérations de recrutemen­t. Or l’abolition en Suède de l’obligation de servir avait été un des modèles du GSsA pour défendre son initiative contre la conscripti­on obligatoir­e en 2013. «Le redéploiem­ent massif de la puissance militaire russe et l’agressivit­é de la politique menée par Moscou justifient cette décision», disent les autorités suédoises.

Même le Parti socialiste suisse préfère oublier qu’il a inscrit la suppressio­n de l’armée dans son programme en 2010. Cela ne devrait pas laisser espérer une baisse des critiques contre les budgets et projets militaires. Car, comme le relevait le conseiller national Carlo Sommaruga en dénonçant le décalage entre le rapport de politique de sécurité et les achats d’armement, «l’idéologie de la Guerre froide» n’a pas disparu de l’armée. Guy Parmelin aurat-il la poigne et le courage d’impulser cette réforme culturelle?

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