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«La clé pour survivre, c’est de se diversifier»
CULTURE Pour faire face aux nouveaux dé s liés au changement climatique, Julien Guillon a décidé de miser sur l’oléiculture. En plus de ses vignes, il va donc planter des oliviers au coeur du Valais central. Une première dans le plus grand canton viticole de Suisse
Dans le vallon de la Lienne, qui surplombe Saint-Léonard au coeur du Valais central, la vigne est omniprésente. Des deux côtés de la route qui serpente jusqu’à Ayent, les ceps sortent rapidement de leur torpeur hivernale, en ce début d’avril, en raison d’une météo plus que clémente. Sur ses parcelles, le vigneron nature Julien Guillon a enregistré des températures aeignant les 37 degrés, en plein soleil. Nouveau signe du changement climatique, qu’il ressent fortement depuis plusieurs années. Alors, plutôt que de subir, le Français, installé en Valais depuis 2017 après avoir transité par Genève, a décidé d’agir. Et de se diversifier. En cee fin d’avril et au début de mai, il plantera près de 200 oliviers sur une parcelle bordant un torrent et un bosquet, avant d’y ajouter 300 plants l’an prochain et un nombre similaire en 2026, pour couvrir au total 1,5 hectare.
Prendre les devants
«Ce n’est pas à la nature de s’adapter à l’agriculture, mais bien à l’agriculture de s’adapter à la nature», appuie-t-il. Pour lui, le moment est venu de prendre les devants. Et nombreux sont les exemples qui le prouvent, assure-t-il: des vignes sont plantées en Angleterre et tous les plus grands domaines internationaux s’y intéressent; en Espagne, au Portugal ou dans le sud de l’Italie, les chaleurs et la sécheresse extrêmes ont engendré des récoltes d’olives très maigres ces deux dernières années; en France, désormais, la volonté consiste à planter des oliviers à des latitudes allant jusqu’à Lyon et à la Charente-Maritime. «Le climat change et toutes les cultures se déplacent vers le nord. Il faut prendre conscience de cela», indique Julien Guillon.
«Planter une oliveraie colle parfaitement à la réalité actuelle»
Mais les dernières années ont aussi prouvé au vigneron qu’une diversification était nécessaire. En 2021, le Valais a connu une vendange catastrophique, inférieure de 50% à la moyenne des dix années précédentes. Tout simplement, la plus faible récolte jamais enregistrée depuis le début des statistiques en 1966. «De nombreux vignerons-encaveurs auraient pu mere la clé sous le paillasson. Pour moi, la clé pour survivre c’est de se diversifier. Vivre d’une monoculture, avec tous les risques que fait peser le changement climatique, est de plus en plus difficile.»
Julien Guillon estime avoir trouvé le bon compromis en misant sur les oliviers. Une décision qu’il a prise lors d’un voyage en Grèce. «Ces arbres résistent jusqu’à des températures de -20 degrés. Leur floraison intervient à la fin de mai, voire au début du mois de juin, période lors de laquelle les risques de gel n’existent plus. Planter une oliveraie colle donc parfaitement à la réalité actuelle», appuie-t-il, précisant que l’irrigation se fera par porosité, grâce à l’utilisation de jarres en terre cuite plantées au pied des arbres. D’ici trois à quatre ans, espèret-il, le vigneron devrait donc produire de l’huile d’olive aux côtés de ses vins nature. «Contrairement au vin, on en a besoin tous les jours et ça ne pose pas de problème avec les contrôles d’alcoolémie», sourit-il.
Volontiers traité de trublion du milieu viticole – une étiquee qu’il aime bien –, Julien Guillon sait que son «coup de poker» va faire parler. «On va encore plus me prendre pour un fou, rigole-t-il. Mais il faut bien que quelqu’un fasse office de pionnier, non?» Le Valaisan d’adoption y croit donc dur comme
«Le climat change et toutes les cultures se déplacent vers le nord. Il faut prendre conscience de cela» JULIEN GUILLON, VIGNERON
fer. Et pour se convaincre, il prend pour exemple le Tessin, où plusieurs vignerons ont misé sur l’oléiculture depuis de nombreuses années, mais aussi le canton de Genève. Laurent Vulliez, du Domaine des Vignolles, à Satigny, a planté des oliviers il y a plus de 5 ans, aux côtés de ses vignes, mais aussi de l’élevage et des grandes cultures qu’il travaille. «Si ça fonctionne à Genève, où le risque de gel est aussi grand et le soleil moins présent, pourquoi ça ne marcherait pas en Valais?, questionne Julien Guillon. Moi, en tout cas j’y crois!» Réponse d’ici quelques années.