L'Illustré

Ah! la Bébel vie, par Thierry Jobin.

- Texte Thierry Jobin*

Impossible que ça vous ait échappé: Jean-Paul Belmondo s’est éteint le lundi 6 septembre. Hommage national, émotion internatio­nale, mais aussi très locale, voire intime, car il faisait partie de toutes les familles. Souvenirs d’un immortel qui a tapissé notre mémoire collective de toutes les couleurs.

« Tranquille­ment»? C’est ce qu’il a affirmé, son ami et avocat Michel Godest, le lundi 6 septembre: «Il s’est éteint tranquille­ment ce matin.» Tranquille­ment?!? Les hélicoptèr­es et les trains auxquels il s’accrochait, ainsi que les voitures qu’il pilotait, sont toutes et tous à la casse depuis longtemps, bouffés par la rouille, et on veut nous faire croire que Bébel est parti tranquille­ment? Pas de ça avec nous. Il est évident qu’il s’est envolé en faisant du trampoline sur le lit de son domicile parisien, à Saint-Germain-des-Prés, en attrapant un nuage, puis une étoile, puis une galaxie, et s’écriant, avec un grand salut de la main: «Tagada-tsointsoin! Saint-Germain, Saint-Frusquin, Saint-Glinglin, me voili, me voilà!»

Un monde sans Bébel ne déplaît pas seulement à Dieu. C’est un monde moins drôle, moins généreux, moins virevoltan­t, moins gouailleur. Un monde où les derniers de la classe, les cancres, les indiscipli­nés perdent un modèle. Un monde où les gueules cabossées se retrouvent en minorité face aux Ken et Barbie de la téléréalit­é. En 2013, Quentin Tarantino avait été invité au Festival Lumière à Lyon pour lui rendre hommage: «Même son nom, Belmondo, n’est pas seulement le nom d’une star du cinéma, et ce n’est pas seulement le nom d’un homme: c’est un verbe, un verbe qui représente la vitalité, le charisme, la force de la volonté. Il représente la super-cool attitude.» Mais oui, Tarantino lui-même. Car si Bébel n’a jamais répondu aux sirènes de Hollywood – «sinon il aurait fallu apprendre l’anglais, et alors là…» –, son influence fut et reste mondiale. A l’annonce de son décès, Variety, le plus important magazine de cinéma américain, a prétendu que ni Warren Beatty dans Bonnie and Clyde, ni Robert De Niro dans Taxi Driver n’auraient joué pareilleme­nt s’ils n’avaient pas vu l’A bout de souffle ou le Pierrot le fou de Godard. De même, Steven Spielberg a toujours raconté qu’Indiana Jones devait tout ou presque à L’homme de Rio.

On le jugeait franchouil­lard, il envoie valdinguer ce cliché dans les hommages que la presse mondiale lui a rendus la semaine dernière. Le New York Times a salué sa «beauté brute» en le comparant à Humphrey Bogart, Marlon Brando et James Dean: comme eux, «M. Belmondo a forgé sa réputation en jouant des personnage­s durs, sans sentiments, voire antisociau­x, et en rupture avec la société bourgeoise. Plus tard, il a accepté des rôles plus populaires, sans pour autant renoncer à son audace magnétique.» «Antihéros nonchalant» pour le Washington Post. «Star française jusqu’à la moelle» pour le britanniqu­e The Guardian. «Icône du cinéma» pour l’espagnol El País. «L’homme pour qui rien n’était impossible» pour l’allemand Die Welt…

C’est dingue: même à l’annonce de sa mort, Jean-Paul Belmondo donne autant envie de pleurer que de sourire à la simple évocation de son nom. Une souffrance et une joie. Ou plutôt un soulagemen­t: cet AVC du 8 août 2001… Vingt années de tristesse, à le voir apparaître, disparaîtr­e, réapparaît­re, affaibli, peinant à jacter malgré des efforts bien plus surhumains que ses cascades. Nous étions toutes et tous touchés. D’ailleurs, vous avez remarqué? A côté des hommages internatio­naux et des pleurs des grands de ce monde, des larmes de Delon, son meilleur ennemi, ou du chagrin de Jean Dujardin, son fils spirituel, jusqu’aux frissons de Macron, qui lui a accordé les Invalides comme si peu d’artistes avant lui à part Aznavour ou d’Ormesson, un nombre incroyable de journaux locaux, en France, en Belgique ou, notamment dans Le Nouvellist­e, en Suisse ont choisi de donner la parole à des gens qui l’avaient juste rencontré, ne serait-ce que pour un repas ou une vi

«Une paella sans coquillage­s, c’est comme un gigot sans ail, un escroc sans rosette: quelque

chose qui déplaît à Dieu!»

(Un singe en hiver, Henri Verneuil, 1962)

«Quitter son pays, sa famille,

son armée, ses copains, franchir les océans pour voir une donzelle s’agiter dans un bruit de casseroles, ça vous paraît normal?»

(L’homme de Rio, Philippe de Broca, 1964)

Jean-Paul Belmondo: «Quand je te regarde, c’est une souffrance.»

Catherine Deneuve: «Pourtant, hier, tu disais

que c’était une joie.»

Jean-Paul Belmondo:

«C’est une joie et une souffrance.»

(La sirène du Mississipp­i,

François Truffaut, 1969)

«Qu’est-ce que je peux faire? J’sais pas quoi faire! Qu’est-ce

que je peux faire? J’sais pas quoi faire! Qu’est-ce que je peux

faire? J’sais pas quoi faire!»

(Pierrot le fou, Jean-Luc Godard, 1965)

«Les femmes ne veulent jamais faire en huit secondes ce qu’elles veulent bien faire

huit jours après.»

(A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960)

site de courtoisie. Ce Catalan qui se souvient que Bébel lui avait emprunté sa voiture pour aller faire des courses. Ce patron d’hôtel qui le faisait rire en piégeant son lit grâce au vieux gag des draps en portefeuil­le. Quelle autre star aura été si proche de son public? 1937. Le petit Jean-Paul a 4 ans lorsque son père, le sculpteur Paul Belmondo, réalise un buste de son fiston. Papa emmène le petit tous les dimanches au

Louvre, sous l’oeil bienveilla­nt de la maman, Madeleine, qui est peintre. Jean-Paul, lui, ce sera, comme la plupart de ses quatre enfants et six petits-enfants, le théâtre. Sans Godard et A bout de souffle en 1960, il y serait resté. Il lui faudra vingt-sept années pour y revenir. Entretemps, sa décontract­ion sonne non seulement comme une révolution, mais aussi comme une revanche du dernier de la classe, du luron bondissant des amis du Conservato­ire de 1951 (avec Jean Rochefort, JeanPierre Marielle, Anouk Aimée, Bruno Cremer et Claude Rich, quelle volée!), du délit de faciès aussi: «Tout le monde trouvait que j’avais une sale gueule. Alors une fois, ça va, deux fois, ça va, trois fois, non! Ma mère m’a dit: «Comme ton père, tu devras avoir du courage.» Et je n’ai jamais manqué de courage, ce qui fait que je suis là.» Un beau pied de nez à la Comédie-Française qui lui refusa l’entrée. Et aux jurés de laquelle il avait adressé un bras d’honneur.

Dans Première, en 1995, il se souvenait: «Je trouvais le cinéma très emmerdant. C’est avec Godard que j’ai eu la révélation. Là, liberté totale.» Sauf que, «quand je suis arrivé en Italie, les jour

 ??  ?? Jean-Paul Belmondo, ici en 2016: «Quand je serai mort et sous terre, je me fous complèteme­nt de ce qu’on dira de moi. Ce qui compte, c’est maintenant.»
Jean-Paul Belmondo, ici en 2016: «Quand je serai mort et sous terre, je me fous complèteme­nt de ce qu’on dira de moi. Ce qui compte, c’est maintenant.»

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