L'Illustré

Ce qui a marqué... Christophe Clivaz.

Il parcourt le monde pour promouvoir les écoles privées. L’entreprene­ur a dû changer de rôle le jour où il a été confronté au décès d’un proche survenu de manière inattendue à Tokyo.

- Texte Stéphane Benoit-Godet – Photo Eddy Mottaz

«J ’ai grandi dans un hôtel à Crans-Montana, bercé par le rythme des saisons avec des touristes qui allaient et revenaient chaque année. Ma famille, qui possédait l’Ecole du Léman, a toujours parcouru le monde. C’est ainsi que l’hôtellerie, les voyages et l’éducation sont devenus mes trois passions. J’ai créé Swiss Learning en 2006 qui assure la promotion des écoles privées suisses à travers le monde.

En 2009, je suis à Tokyo avec un de mes mentors, un homme que je respecte et que j’admire, à la tête du plus vieil internat de Suisse encore en mains familiales. Nous sommes une délégation d’une dizaine de personnes. Au Grand Hyatt, nous passons une merveilleu­se soirée. Je dors mal cette nuit-là et je suis réveillé par un appel de la réception à 7 h qui m’annonce que mon ami – avec lequel nous faisions la fête quelques heures avant – est mort durant son sommeil. Je suis sous le choc au point de perdre brièvement connaissan­ce.

Quand je reprends mes esprits, je demande à mes deux plus proches collègues de me rejoindre. Nous formons immédiatem­ent une équipe qui va gérer cette situation. L’un des deux est officier dans l’armée, il me conseille de tout rédiger pour assurer une restitutio­n fidèle des faits à la famille et aux autorités. L’autre est mon ami le pâtissier Nicolas Taillens, doué d’un grand sens pratique. Ils se chargeront de la délégation à qui on ne peut rien dire sans avoir informé la famille. Pour ma part, je prends en charge la gestion du décès.

La police tokyoïte ne tarde pas à venir, en mode «experts» avec l’équipe médicoléga­le. Je dois reconnaîtr­e le corps, un moment éprouvant. Une enquête est lancée, je suis convoqué pour un interrogat­oire avant l’autopsie. Ma femme, qui est juriste, me rassure au téléphone: c’est la procédure. Mais ce que je vis n’est clairement pas mon quotidien, la tension monte.

Je joins enfin la famille, avec laquelle nous nous mettons d’accord pour les modalités: crémation sur place et retour trois jours plus tard. Mon ami a une stature hors norme pour le pays, pas simple de trouver un cercueil et un lieu qui pourra l’accueillir pour la cérémonie. Le soir venu, il faut annoncer la nouvelle aux autres et gérer cette émotion collective très forte.

Trois jours plus tard, je découvre le rite funéraire japonais avec mon ami Nicolas. A la fin de la crémation, les familles doivent séparer les restes du défunt avec des baguettes dans un processus très orchestré. C’est au-dessus de nos forces. Nous ramenons l’urne à l’hôtel, que nous ne quitterons pas des yeux lors du voyage retour. La famille nous attend à Zurich. Le moment reste gravé dans ma mémoire. Le fils – à qui je ramène son père et que je ne connais pas – deviendra un de mes meilleurs amis. Il gère aujourd’hui avec brio l’école familiale.

Quelles sont les leçons que j’ai apprises? Je dis toujours à mes enfants qu’il ne faut jamais se quitter fâchés, la vie peut s’envoler à tout instant. Du point de vue managérial, ce drame m’a conforté dans l’idée qu’il faut toujours s’entourer dans son entreprise comme durant une crise de personnes dont la compétence complément­aire va être immédiatem­ent utile. C’était le cas avec cette personne gradée à l’armée. Mais j’avais aussi besoin de l’oeil bienveilla­nt d’un ami. Il pouvait me faire corriger le tir sans crainte du jugement.» ●

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland