L'Illustré

«Cessons d’empoisonne­r nos clients!»

L’ancien professeur d’oenologie à Changins estime que le seul avenir possible de la vitivinicu­lture suisse, c’est la nature à 100%. Didier Joris explique pourquoi il est possible de se passer des produits de synthèse.

- Texte Philippe Clot

Dans quel état d’esprit le vigneron biologique que vous êtes appréhende ces deux initiative­s dites «phytos»?

La première chose que je dis, c’est pourquoi s’attaquer une nouvelle fois à l’agricultur­e? Pour les paysans qui font du colza ou de la betterave, ce sera très difficile si ces initiative­s passent. Les plus grands pollueurs de la planète, c’est l’industrie. Et je dis non à l’initiative pour des eaux propres, car le fossé des paiements directs entre les bio et les convention­nels serait encore plus grand et donc les eaux seraient encore moins propres. Cette initiative sur l’eau n’aurait jamais dû être liée à celle sur les pesticides, car elle s’éloigne du but recherché par le bio. En revanche, le monde viticole n’est pas le monde agricole. Et là, l’initiative sur les pesticides a le mérite de faire bouger les choses.

Donc si on vous comprend bien, pour la viticultur­e, vous êtes pour cette initiative?

Oui. Les pesticides, ces cocktails de molécules de synthèse, c’est le grand problème. Dans le Bordelais, ils avaient fait une étude il y a une dizaine d’années: les gamins avaient des résidus de 10 à 20 substances dans les cheveux. Où va le monde? Est-ce qu’on veut continuer comme ça? Ce n’est pas un produit de première nécessité, le vin. C’est du luxe. Alors il faut arrêter de foutre des molécules de m… dans nos vins et empoisonne­r nos clients. Comment pouvons-nous avoir du plaisir à boire un vin en sachant qu’on s’envoie 15 résidus chimiques dans le corps?

Votre prise de conscience est apparue comment?

Ce sol nu à cause de la chimie, grillé par le soleil, c’était une aberration. Au fil des années, on diminuait les traitement­s. Je me suis dit qu’il fallait revenir à la nature et et laisser travailler les sols. Notre sol, c’est un être vivant. Il y a autant d’organismes vivants dans une cuillère à café de terre que d’humains sur la planète. Comment faire des vins vivants sur un sol mort? Le terroir sur du désert, c’est un non-sens. Il est regrettabl­e que les écoles n’encouragen­t pas les jeunes à se poser ce genre de questions.

Mais passer au bio, comme vous l’avez fait progressiv­ement, cela implique moins de rendement et plus de travail, non?

Moins de rendement, oui, et 30% de travail en plus dans la vigne. Mais c’est le prix à payer pour faire des vins vivants de qualité, qui sont tous achetés dans un contexte pourtant où les stocks s’accumulent. Et puis c’est beaucoup moins de travail pour vinifier, ce qui compense en partie le surplus de travail à la vigne. Mais bien sûr, les quatre ou cinq premières années, c’est difficile. Les plantes pionnières doivent être désherbées. Il faut savoir encore que la vigne est une plante qui a un système immunitair­e qui a de la peine à se réveiller au printemps. Surtout dans le genre de conditions de cette année avec

des températur­es extrêmes. On travaille donc avec des substances naturelles, comme des algues, pour stimuler ce système immunitair­e.

Quels sont vos principes de vinificati­on?

Elle doit se limiter à sa plus simple expression. Et ce n’est possible qu’avec du raisin naturel. Quand on traite contre les champignon­s, le premier champignon qu’on flingue, c’est la levure. En bio, la fermentati­on est spontanée, plus besoin de levure ajoutée, par exemple. Et pourquoi éliminer la lie, qui gère l’élevage et l’oxydation? Et puis la filtration, plus on filtre, plus on dépouille le vin, plus on détruit sa structure protéique, sa stabilité physique. Parce que c’est quoi le vin, au fond? C’est très simple: c’est du jus de raisin qui va fermenter grâce aux levures naturelles qui se trouvent sur la pellicule. On peut avoir une deuxième fermentati­on si on veut, la transforma­tion de l’acide malique en acide lactique. Ensuite, c’est simple: si on laisse aller, on aura du vinaigre dans la bouteille. Le travail du vigneron, c’est de bloquer cette fermentati­on avant que ça tourne au vinaigre. Ce qui est génial à cet égard avec le bio, c’est qu’on a plus d’acidité et donc plus de conservati­on naturelle.

Il reste beaucoup de choses à découvrir dans le bio?

C’est un monde infini. Malheureus­ement, les stations fédérales n’en font pas encore assez pour nous aider. Nous devons découvrir de nouvelles méthodes nous-mêmes. Il faudrait par exemple trouver des moyens pour remplacer le cuivre et le soufre. L’année passée, je me suis passé du soufre en utilisant l’huile de fenouil contre l’oïdium. Cela me permet d’avoir des vins avec une moindre teneur en soufre. Notez que les firmes industriel­les commencent sérieuseme­nt à proposer des produits biologique­s. La révolution est en marche même chez eux.

Cette révolution produit des vins différents, qui ne plaisent pas à tout le monde. Vous devez convaincre la clientèle de s’adapter à ces nouveaux goûts?

Les plus de 50 ans, habitués aux saveurs classiques, ont bien sûr de la peine à s’y retrouver, du moins au début. Mais mon Divico, par exemple, les jeunes adorent ça. Il ne m’en reste qu’une bouteille, je vous le ferai goûter tout à l’heure. C’est une question de pédagogie, de remise en question de ses habitudes.

Et quelle est votre politique de prix?

Moi, je vends du vin, pas des rabais. Je vends mon vin au prix de la qualité du millésime. Et ça marche. Nos clients sont de plus en plus demandeurs de vins sans résidus.

La viticultur­e bio, c’est de la science?

Non. La science nous a permis de mieux comprendre l’ensemble des phénomènes et de ce fait de mieux s’en détacher. Mais le bio, c’est d’abord une bonne pratique viticole, un bon respect de la vigne.

«Comment faire des vins vivants sur un sol mort?»

Didier Joris Vigneron bio

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Pour Didier Joris, c’est d’abord et surtout le travail dans la vigne qui est décisif. La vinificati­on est d’autant plus simple que le raisin est plus naturel.
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