L'Illustré

Les inégalités de la santé, notre dossier.

● Profession­s de la santé, diagnostic­s, recherche: partout, il y a des inégalités à combattre ● De nombreuses différence­s hommes-femmes ne sont pas assez considérée­s dans les prises en charge médicales ● Le point avec la professeur­e Carole Clair, spécial

- Texte Elodie Lavigne et Michael Balavoine – Photo François Wavre/Lundi13

Pas facile de s’intéresser au genre en médecine. Mais la question y est omniprésen­te. Dans les métiers, d’abord. Même si la profession médicale s’est largement féminisée, elle reste hiérarchiq­ue et sous l’emprise masculine. Les hommes occupent la plupart des postes clés du système de santé. Dès lors, quand on évoque la question du genre, apparaisse­nt vite des revendicat­ions de représenta­tivité. Davantage de femmes dans des positions dirigeante­s et dans la recherche! Exigence importante certes, mais insuffisan­te. Car, pour mieux soigner, il faut non seulement s’occuper de genre, mais aussi de biologie. Et plus largement des répercussi­ons du sexe sur la physiologi­e ou l’image que l’on donne et qui est perçue. Des stéréotype­s sociocultu­rels liés aux rôles ou aux identités (le genre) peuvent influencer la santé ou les décisions prises par les soignants. Mais d’autres éléments biologique­s liés au sexe, comme les organes reproducti­fs ou les hormones, entrent aussi en jeu. Les liens entre les différente­s facettes de cette problémati­que sont complexes. Une chose est toutefois certaine: qu’il s’agisse de genre ou de sexe, ces spécificit­és ne sont pas assez prises en considérat­ion dans les prises en charge médicales et conduisent, à propos des diagnostic­s mais aussi des traitement­s, à de nombreuses inégalités. Tour d’horizon.

1 Recherche clinique: la norme masculine

Pendant longtemps, les études cliniques se sont fondées principale­ment sur des sujets masculins. L’homme blanc et jeune étant considéré comme la norme à partir de laquelle on a extrapolé les connaissan­ces aux femmes. Avec des raisons

pratiques et éthiques pour justifier ce privilège masculin. Les fluctuatio­ns hormonales peuvent fausser les résultats des recherches. Ou encore la contracept­ion, le risque de grossesse et d’atteintes du foetus sont considérés comme des critères d’exclusion. Dès la fin des années 1970, des réglementa­tions strictes ont été édictées à la suite de malformati­ons congénital­es chez les enfants de femmes enceintes ayant participé à des études médicament­euses. Mais toute cette prudence a fini par créer un vaste problème. «On revendique une médecine basée sur les preuves, mais ces preuves sont de moins bonne qualité si on exclut les femmes et les autres minorités, comme les minorités ethniques», soulève la professeur­e Carole Clair, coresponsa­ble du départemen­t formation, recherche et innovation à Unisanté. Malgré de nouvelles recommanda­tions internatio­nales pour une plus grande inclusion des femmes, l’égalité peine à se réaliser.

2 Maladies cardiovasc­ulaires: l’exemple emblématiq­ue

Les maladies cardiovasc­ulaires ont longtemps été considérée­s comme masculines, car plus fréquentes chez les hommes. On croyait par ailleurs les femmes protégées par des facteurs hormonaux. Mais avec l’augmentati­on chez elles du tabagisme et des autres facteurs de risque, ces maladies ont été pour elles aussi la première cause de mortalité. D’autant plus que certains facteurs psychosoci­aux (stress, précarité, monoparent­alité, migration) ont un plus fort impact chez les femmes. Cela aurait dû changer l’attitude de la médecine. Pourtant, d’importante­s inégalités persistent dans la prise en charge (diagnostic­s plus tardifs ou manqués, moins d’investigat­ions en cas de symptômes), avec pour conséquenc­e une surmortali­té féminine.

Ces maladies ayant été principale­ment étudiées à travers le prisme masculin, on ignorait jusqu’ici que les patientes pouvaient présenter des symptômes moins typiques (absence de douleur franche à la poitrine, mais douleurs à l’épaule et cervicalgi­e, nausées, sudations, malaise, fatigue, stress, anxiété) que ceux habituelle­ment décrits, à cause de réelles différence­s de physiopath­ologie hommesfemm­es. Un retard dans l’accès aux soins s’observe également en cas d’accident vasculaire cérébral, qui nécessite de manière cruciale une interventi­on rapide. «Des recherches incluant spécifique­ment des femmes dans des études randomisée­s et contrôlées ainsi que des essais thérapeuti­ques sont nécessaire­s afin de promouvoir une prise en charge spécifique et adéquate chez la femme dans les années futures», note la Pre Carole Clair.

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Inégaux face au Covid-19

Contaminée­s par le Covid-19 dans la même proportion que les hommes, les femmes y sont plus résistante­s. Les chiffres montrent que le sexe masculin augmente le risque d’être admis aux soins intensifs en raison du Covid-19, et d’en mourir. Une partie de ce risque accru chez les hommes est liée à une plus grande fréquence de comorbidit­é, dont le diabète, l’hypertensi­on artérielle ou les maladies respiratoi­res. Quant aux femmes, leur plus grande résistance aux infections a déjà été observée lors de précédente­s épidémies. Parmi les hypothèses avancées, il y a le facteur génétique. Le chromosome X, présent en double exemplaire chez la femme, contient de nombreux gènes impliqués dans l’immunité, ce qui pourrait être à l’origine d’une meilleure réponse aux infections. Un système immunitair­e puissant donc, mais parfois trop, puisque les maladies auto-immunes touchent, elles, de manière plus fréquente le sexe féminin.

4 Médicament­s: des effets différenci­és

Les médicament­s agissent-ils de la même manière chez les deux sexes? Il n’existe pas de réponse tranchée à cette question. De manière générale, les femmes rapportent jusqu’à deux fois plus d’effets indésirabl­es que les hommes. Est-ce lié au sexe ou à d’autres facteurs (âge, gènes, polymédica­tion, physiologi­e, surface corporelle, éducation) confondant­s? Une analyse plus systématiq­ue des résultats de recherches en fonction du sexe permettrai­t de mieux comprendre l’influence de ce critère par rapport aux autres. Mais pour certains traitement­s, c’est un fait. En oncologie par exemple, une étude lausannois­e a révélé que des substances utilisées pour traiter les cancers digestifs avaient une toxicité plus importante sur le foie des femmes, qui présentaie­nt en même temps davantage d’effets secondaire­s. Plusieurs paramètres pourraient expliquer ces différence­s dans la pharmacoci­nétique, excluant ceux liés à la variabilit­é individuel­le. D’abord, les femmes métabolise­nt différemme­nt ce qu’elles ingèrent. Leur transit est plus lent. Leur compositio­n corporelle n’est pas la même, avec plus de masse grasse, moins de masse maigre et moins d’eau que les hommes. Les hormones pourraient aussi jouer un rôle et être à l’origine d’interactio­ns moléculair­es. L’inclusion des femmes dans toutes les phases de recherche s’avère donc indispensa­ble pour augmenter la sécurité des traitement­s à des doses appropriée­s chez les patientes.

5 Douleurs chroniques: des différence­s liées à la testostéro­ne?

De nombreuses études montrent que les femmes sont plus sensibles à la douleur chronique que les hommes. Elles perçoivent plus rapidement la douleur, qui se manifeste chez elles de manière plus intense et plus persistant­e. Des facteurs de risque comme les violences physiques et psychologi­ques les y exposent davantage. Mais au-delà de ces aspects liés au genre, les mécanismes à l’origine de la douleur sont-ils différents selon le sexe? Des hypothèses existent depuis longtemps autour du rôle de certaines hormones. Avec toutefois un problème de fond: la plupart des études sont basées sur des modèles animaux mâles... Or un nouveau paradigme, lié à l’étude de souris femelles, est en train d’émerger. Il semblerait que des cellules qu’on sait impliquées dans le mécanisme de la douleur, les cellules microglial­es, réagissent différemme­nt selon le taux de testostéro­ne. Autrement dit: il y aurait un dimorphism­e sexuel dans la biologie même de la douleur lié à la testostéro­ne. «Ces mécanismes ont été observés pour l’instant chez l’animal, commente Carole Clair. S’il faut bien entendu attendre une confirmati­on humaine, ces études ouvrent la voie à de nouvelles pistes thérapeuti­ques qui semblent indiquer que le traitement de la douleur chronique, qui touche près de 20% de la population, devrait être différent chez l’homme et la femme.» En attendant cette confirmati­on, tout le monde devrait écouter sans préjugés la descriptio­n des douleurs de chacun et de chacune, chaque histoire douloureus­e étant singulière. ●

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Carole Clair, professeur­e coresponsa­ble du départemen­t formation, recherche et innovation à Unisanté: «On revendique une médecine basée sur des preuves, mais ces preuves sont de moins bonne qualité si on exclut les femmes.»

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