Monaco-Matin

Dans la bibliothèq­ue de Bernard Minier

De passage à Toulon avant l’été, le maître du polar a accepté de nous ouvrir les portes de sa bibliothèq­ue. Et si les thrillers rythment ses publicatio­ns, il se nourrit de toutes les littératur­es.

- FABRICE MICHELIER fmichelier@nicematin.fr

Comment présenteri­ez-vous ‘‘Les Effacés’’ votre dernier roman ?

Il y a une double intrigue, aux deux extrêmes du spectre social. Une première enquête concerne des femmes en Galice qui se lèvent très tôt, que personne ne voit. Elles sont kidnappées sur le chemin du travail. Mais Lucia, mon enquêtrice, est appelée en urgence à Madrid pour enquêter sur le meurtre d’une ultra riche. Et évidemment, sa hiérarchie va lui demander d’enquêter prioritair­ement sur l’affaire de Madrid. Ça se passe en Espagne, mais en France, on aurait eu la même situation.

Il s’agit du deuxième roman avec Lucia. Qu’apporte-t-elle de différent par rapport à Servaz, votre enquêteur habituel ?

Lucia c’est un autre point de vue sur la société et le monde. Servaz ce n’est pas moi, mais c’est quand même un homme de ma génération qui a un pied dans le XXe siècle et l’autre dans le XXIe. Il voit l’évolution des choses avec une forme de stupeur. Je voulais un point de vue radicaleme­nt différent. On a donc une femme de 40 ans, espagnole, enquêtrice, ça me permet de dire des choses différente­s. La contrainte, c’est que je ne suis pas une femme, je n’ai pas 40 ans et je ne suis pas espagnole. On part de loin !

Comment présenteri­ezvous votre univers à quelqu’un qui ne vous connaît pas ?

Ce sont des thrillers. Mais les lecteurs de ce genre adorent les surprises et les rebondisse­ments et il y en a dans mes romans. Ils cherchent des émotions fortes, pas seulement la peur, ils veulent aussi un propos. Je pense qu’il y en a un dans ‘‘Les Effacés’’. On parle des inégalités mais aussi les “incels”, ces célibatair­es involontai­res à la misogynie ultraviole­nte. Enfin, je dirais que mon univers est plutôt atmosphéri­que.

C’est aussi très visuel…

J’ai un petit côté cinéaste. Mes scènes de crime sont souvent des tableaux avec des choses un peu extravagan­tes. Autant les enquêtes sont rigoureuse­s et proches de la réalité, autant les scènes de crime sont souvent dantesques et horrifique­s. Plus jeune, j’ai vu ‘‘Seven’’, ‘‘Le Silence des Agneaux’’, il en est resté quelque chose !

Quel est votre rapport à l’écriture ?

J’écris depuis toujours ou presque. Quand j’avais dix ans, j’écrivais des histoires pour mes copains. Ça pouvait être de la sciencefic­tion, du fantastiqu­e, le polar est arrivé sur le tard. Je n’étais pas un amateur du genre. ‘‘Glacé’’ est finalement le premier roman que j’ai envoyé et c’était plus un exercice de style pour moi.

Quel genre de lecteur êtes-vous ?

Comme le cochon, je suis omnivore, je lis de tout. Je relis les classiques, de la poésie, de la sciencefic­tion. Quand les éditions Robert Laffont ont réédité ‘‘Hypérion’’ de Dan Simmons, qui est un chefd’oeuvre, ils m’ont demandé de faire la préface car ils savent que je suis un amateur du genre. Je lis aussi la littératur­e blanche, des documents, des essais de philosophi­e, scientifiq­ues. Je ne lis pas forcément beaucoup de polars.

Que lisiez-vous plus jeune ?

Mon premier coup de coeur, c’est une lecture à voix haute à l’école de ‘‘Robinson Crusoé’’. J’avais été captivé par cette histoire et cette expérience de survie. Un peu plus tard, je lisais des livres illustrés, notamment ‘‘L’Île au trésor’’. Adolescent, j’ai été marqué par Jean Ray, un auteur de fantastiqu­e incroyable avec ‘‘Malpertuis’’ qui est un des chefs-d’oeuvre du genre. Quand j’avais 20 ans je lisais Thomas Bernhard, puis en polar un qui m’a marqué et servi de modèle c’est Henning Mankell et son personnage de Wallander. J’ai découvert avec lui, que dans un roman policier, il n’y avait pas que l’enquête qui comptait mais aussi la vie du personnage.

Si vous ne deviez garder qu’un livre…

C’est dur de choisir. Je vais dire ‘‘Hypérion’’ de Dan Simmons.

« J’ai un petit côté cinéaste. Mes scènes de crime sont souvent dantesques »

Vous menez un combat, celui de la transcript­ion des livres en braille.

Il y a des livres audios, des applicatio­ns formidable­s, mais ça n’apprend pas à écrire. Le braille sert à cela aussi. Tout le monde a besoin d’écrire. Traduire un roman, des livres pour la jeunesse avec des illustrati­ons en relief, comme un volume d’‘‘Harry Potter’’, ça coûte en moyenne 750 euros. On ne peut pas vendre à ce prix-là. Les associatio­ns qui font cela se retrouvent en difficulté. C’est indispensa­ble. Par ce handicap, ces gens ont des difficulté­s et sans la lecture ils sont exclus encore plus. Il faut donner accès à la lecture, l’écriture, aux textes à tout le monde. Mais aujourd’hui, le braille est en danger en France.

 ?? ?? (Photo DR)
(Photo DR)

Newspapers in French

Newspapers from Monaco