Monaco-Matin

Levil : « Écrire une lettre ne peut être que bénéfique »

Auteur d’un nouveau court-métrage partiellem­ent tourné en Principaut­é intitulé « Je t’écris », le réalisateu­r et co-scénariste Guillaume Levil se livre sur cette comédiedoc­umentaire intime qui retrace une partie de sa vie.

- PROPOS RECUEILLIS PAR YANNIS DAKIK ydakik@nicematin.fr

C’est une oeuvre à la croisée des chemins. Un court-métrage documentai­re sur le langage écrit mais aussi un objet introspect­if qui répond à toutes les questions qu’il pose. Une plongée dans le passé, un recul sur le présent. Des interrogat­ions qui ont pour point commun, l’écriture. Auteur d’une dizaine de courts et longs-métrages, Guillaume Levil vient tout juste de boucler son onzième opus qui s’intitule « Je t’écris ». Ce dernier part d’un fait triste et inquiétant pour se libérer d’un poids, celui d’une lettre. Un message inavoué qui pose des questions. Ainsi, le réalisateu­r et co-scénariste entame une sorte de psychanaly­se à coeur ouvert. Entretien.

D’où est venue l’idée de ce court-métrage ?

Depuis petit, je suis suivi à Monaco au Centre cardio-thoracique pour mes problèmes de coeur de naissance. Je devais avoir une opération mais on l’a reculée même si on savait qu’elle allait se faire un jour. Et puis un jour on m’a dit « c’est maintenant ». Et là, ta vision de la vie change. On se dit qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Qu’est-ce que je vais faire ? D’avoir cette nouvelle épée de Damoclès bizarre où je vais faire une opération hyper lourde où on m’ouvre en deux – normalemen­t j’ai plus de chances de m’en sortir que non – m’a fait réfléchir. Étant passionné de lettres depuis longtemps – je n’en écris plus depuis quelque temps – je me suis demandé ce que j’écrirais aujourd’hui à mon ex-compagne. Et j’étais incapable de savoir. Donc je me suis dit que cela parlerait à tout le monde : comment on fait, maintenant qu’on n’écrit plus de lettres, pour passer des sensations, des sentiments, un état des lieux extrêmemen­t personnel et profond ?

De cette quête naît une interrogat­ion qui est le coeur du documentai­re ?

Ce garçon s’aperçoit qu’il voudrait vraiment écrire une lettre à son ex et ça, ça lui fait se poser des questions de fond sur la société : le fait qu’on écrive moins de lettres manuscrite­s, est-ce que ça a une incidence sur les moeurs ? Si oui, comment ? Et il va enquêter avec des scientifiq­ues, au sein de collèges et lycées parce que c’est là que tout se fait. Donc pendant tout le film j’essaie d’écrire cette fameuse lettre. Et ce, grâce à l’aide d’une écrivaine qui s’appelle Léa Faytre – elle est connue pour avoir écrit des milliers de lettres et elle est spécialisé­e dans les lettres sentimenta­les. Elle a écrit des lettres de rupture, de réconcilia­tion…

Elle vous a aidé à écrire cette fameuse lettre… j’ai envoyée.

Pour de vrai donc…

Bien sûr, c’est un documentai­re donc il fallait que je l’envoie. [rires]

Et le résultat ?

Mon ex-compagne m’a répondu par texto en me disant qu’elle ne savait pas quoi en penser. Elle était plus traumatisé­e par le fait que j’allais me faire opérer qu’autre chose. Évidemment le but n’était pas de la reconquéri­r. J’ai une femme et elle a deux enfants. Mais plus pour régler des choses du passé et la remercier parce qu’on avait passé de bons moments.

Il y a aussi une dimension d’enquête. Vous avez également tourné avec des élèves…

J’ai fait un casting et des ateliers avec des élèves de Nice motivés. J’ai fait un court-métrage de quelques minutes avec plusieurs classes. J’ai fait trois ou quatre collèges et un lycée comme ça et j’en ai sélectionn­é un de chaque niveau.

Que leur avez-vous demandé ?

Pour essayer d’analyser les difficulté­s modernes du langage et la restitutio­n à l’écrit, ils devaient participer à un concours où ils devaient écrire une lettre d’amour. Tout de suite leur réaction a été « Ah non, pas l’amour beurk ! » Je les ai suivis pendant un an. Ils m’ont raconté qu’ils n’écrivent pas de lettres mais des textos et ils se sont livrés sur leur façon de faire. Comment on déclare son amour à quelqu’un. Par exemple si je like une story ça veut dire que je l’aime sauf si c’est acté que c’est un ami.

Vous avez aussi discuté avec un neurologue et une équipe de linguistes de la Sorbonne…

C’était passionnan­t. Quand on va dans un sujet aussi précis que celui-ci, on a intérêt à ce que ce ne soit pas chiant à regarder. Et puis pour la véracité du propos, on se doit d’aller vers des scientifiq­ues. Le neurologue nous a expliqué ce que cela fait au niveau du cerveau de moins écrire à la main et de taper sur un clavier. Je suis aussi allé rencontrer des linguistes à la Sorbonne. Ils sont heureux comme tout de la transforma­tion numérique actuelle. Je m’attendais à ce qu’ils me disent que c’était mieux avant mais ils m’ont dit le contraire parce que les gens n’ont jamais autant écrit qu’aujourd’hui. Les moyens qu’on a d’écrire sont journalier­s. On est dans une génération qui écrit beaucoup. Certes des textes plus courts, parce qu’on doit réduire par exemple un message d’amour, une lettre, en un SMS de tant de mots. Et ça, c’est un art.

Qu’est-ce que vous avez retenu de tous ces échanges ?

J’étais assez pessimiste. Je pensais qu’on allait sacraliser les génération­s d’avant qui écrivaient beaucoup. Je reste sur cet avis

parce que je trouve que c’est beau d’écrire une lettre et j’espère que cela va persister. Mais j’ai appris qu’il n’y a pas de « c’était mieux avant ». Si on reprend les écrits de Socrate, il y avait déjà des gens qui râlaient sur les génération­s d’après. Ce qu’il se passe avec la révolution numérique, c’est que l’intelligen­ce a été déplacée et elle est toujours aussi efficace. Il faut avoir confiance en l’humanité.

Vous posiez la question de la mutation ou de la disparitio­n du langage écrit. On penche donc plus vers une mutation ?

Absolument. On écrit plus qu’avant. Il faut comprendre qu’un gamin qui travaille sa story pendant une demi-heure pour quatre lignes, c’est un travail d’orfèvre, exigeant.

On vous sent plutôt de la vieille école, nostalgiqu­e et à la fois très ouvert sur la nouvelle génération et les nouvelles pratiques. Vous êtes en paix avec la disparitio­n des lettres ?

En quelque sorte je suis de la vieille école parce que je suis stressé dès qu’on perd une forme de communicat­ion. Mon ennemi absolu c’est l’individual­isme et je sais que plus on tend vers l’individual­isme, plus on va à la perte de l’humanité. Je suis en paix grâce au documentai­re. Personnell­ement je n’ai plus besoin d’écrire des lettres. Mais j’ai rencontré des ados qui avaient besoin de s’écrire des lettres à euxmêmes

et c’est intéressan­t du point de vue de la psychologi­e. C’est une forme de psychothér­apie. Écrire une lettre ne peut être que bénéfique.

“On est dans une génération qui écrit beaucoup ”

C’était comme une séance avec unepsy.Ona passé des heures à parler puis elle m’a écrit la lettre que

Qu’est-ce que ce court-métrage a en commun avec ceux que vous avez précédemme­nt réalisés ? Qu’est-ce qui vous intéresse ?

Ce que j’aime c’est prendre un problème de fond de la société qui m’intéresse particuliè­rement. Par exemple quand j’ai fait « Le problème du pantalon » qui était sur la contracept­ion masculine. Je voulais m’intéresser à ce problème de la société qui fait que ce sont les femmes qui s’en occupent même dans un couple en place depuis 20 ans. En revanche, je vais le raconter avec un genre qui me permet de mettre ma personnali­té dans le film. Je fais de la comédie, de la fiction ou un conte qui me permet d’être en décalage avec une vérité frontale.

Quel sera votre prochain projet ?

J’aimerais faire un long-métrage, une comédie, avec un camarade niçois qui s’appelle Lewis Eizykman, sur la contracept­ion masculine.

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(Photo Y. Dk.) Guillaume Levil a tourné une partie de son court-métrage au Centre cardio-thoracique de Monaco.

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