Ils grimpent le Colosse de l’Amérique dans la douleur
Six amis de Monaco ont gravi l’Aconcagua, sommet argentin et point culminant de la Cordillère des Andes à 6 962 mètres d’altitude. Trois ont été contraints à l’abandon, proches du but.
Sur le papier, l’expédition de l’Aconcagua en Argentine s’annonçait périlleuse. Viser son sommet, perché à 6 962 mètres d’altitude, c’était l’assurance de flirter avec les limites du corps humain, au manque d’oxygène. Dans les faits, l’aventure alpine menée par Nicolas, Jérémy, Benoît, Eric, Julien et Manu – six résidents, salariés et entrepreneurs de la Principauté – fut, en effet, hautement rocambolesque.
Même dans leurs rêves les plus fous, même avec une préparation ficelée des mois auparavant, ces six amis et amoureux de la montagne ne pouvaient guère imaginer l’hostilité que le Colosse de l’Amérique allait leur offrir.
Au terme de quinze jours d’ascension, ils ont brandi ce samedi le drapeau monégasque sur l’arête sommitale.
Mais trois d’entre eux, gagnés par le mal des montagnes et l’extrême fatigue, ont dû renoncer en cours de route, parfois à quelques centaines de mètres du but. Récit.
Équipés pour le froid
Après une marche d’approche et plusieurs jours d’acclimatation à haute altitude, les six hommes et leurs trois guides débarquent le 23 janvier au « Camp 1 » à 5 000 mètres d’altitude. Le ton est donné avec une nuit polaire sous tente par -15°C. « On était heureusement très bien équipés. Chaque matin, on se réveillait avec l’extérieur du sac de couchage et l’armature de la tente gelés, relate, par téléphone, Nicolas Toscan, désormais bien au chaud dans une chambre d’hôtel argentine. Quand on remplissait nos gourdes d’eau près d’un glacier, des glaçons se formaient le temps de retourner à la tente. »
« L’enfer »
Le 24 janvier, les sportifs atteignent le « Camp 2 » à 5 500 mètres d’altitude pour y passer trois nuits. « L’enfer avec un froid glacial et beaucoup de vent, résume-t-il. On a passé trois journées en tente sans sortir, à part pour nos besoins personnels. On nous amenait à manger. »
La suite de l’aventure ne sera guère plus aisée. La « voie des Polonais », ouverte en janvier 1961 et initialement choisie au moment de préparer l’expédition, s’est transformée en mur de glace. Impossible de la franchir, même pour la légende américaine de l’alpinisme, Alex Honnold, rencontrée quelques heures plus tôt sur le chemin. Décision est alors prise, le 27 janvier, d’emprunter l’itinéraire classique jusqu’au « Camp 3 », juché à 6 000 mètres d’altitude. «Là,ona subi des rafales à 100 km/h durant lesquelles on était contraint de s’accroupir. »
C’est, aussi, dans cette portion que le groupe se sépare de l’un de ses membres, Eric. Gagné par un mal aigu des montagnes, avec un taux d’oxygène en deçà des normes, une forte déshydratation et de violentes migraines, il est redescendu par un guide dans une zone médicale, d’où il a été rapatrié en hélicoptère.
Deux abandons
Minés par ce départ contraint, ses cinq camarades ne perdent pas pour autant l’objectif de vue. Samedi, à 4 heures du matin, équipés de lampes torches, ils amorcent l’ascension finale depuis le « Camp 3 » sous -25 °C. « On ne sentait plus nos pieds, ni nos mains » , se souvient Nicolas Toscan. Mille mètres de dénivelé positif sont au menu. Certains organismes, déjà largement sollicités, craquent. À 6 500 mètres de dénivelé positif, Jérémy fait lui aussi demitour.
À 11 h 30, à 162 mètres du sommet de l’Aconcagua, Nicolas abandonne à son tour. Une décision prise par les guides face à sa perte de lucidité. « On me parle mais je ne comprends plus rien. Je perds tous mes repères, je n’ai plus aucune force. Les guides ont eu raison. J’ai mis 5 heures à redescendre avec l’un d’entre eux, j’en ai aucun souvenir », décrit-il. Le sommet était visible. Si proche mais, en réalité, si loin. « Benoît, Julien et Manu ont ensuite mis 2 h 30 pour l’atteindre ».
Victoire de groupe
Vers 13 heures, après huit heures de marche, les trois « survivants » brandissent le drapeau monégasque et restent vingt minutes sur site, le temps d’immortaliser ce moment et le chemin accompli. Cette victoire, c’est celle de tout un groupe, resté soudé dans l’épreuve. « Personnellement, je ne vis pas mon abandon comme un échec, au contraire. La présence de chacun a permis aux autres d’arriver en haut », estime Nicolas Toscan. Cette réussite a, aussi et surtout, été rendue possible grâce aux trois guides chiliens et équatoriens, Nicky, Gustavo et Charly, dont la précieuse connaissance du terrain a été précieuse et appréciée. «Sion est seuls dans cette montagne et mal préparés, on ne rentre jamais à la maison. Alors merci à eux. C’est dans ces moments-là qu’on se rend compte que l’Homme est petit face aux éléments. La montagne rend humble. C’est elle qui décide, qui nous contraint à nous adapter, à revoir notre programme », témoignet-il.
« On se couchait et on se réveillait avec le sourire »
Une aventure humaine enrichissante qui a permis, on l’a vu, de repousser toutes les limites. «Ona, chacun, perdu entre 3 et 7 kg. On ne soupçonne pas ce que le corps est capable d’exécuter dans de telles conditions. Il va loin dans la douleur, s’adapte à un environnement hostile et précaire. Malgré la difficulté quotidienne, on se couchait et se réveillait avec le sourire. »