Ils enquêtent à la loupe sur la santé de nos forêts
C’est un inventaire colossal, qui se répète chaque année en France. Et passe au crible des milliers de sites naturels. Comment évoluent les milieux ? La masse des données permet de répondre.
Il y a les cartes. Et il y a le terrain. Pour construire un inventaire forestier national, il faut souvent changer d’échelle. Passer du tout petit, au très grand. D’une observation à la loupe, construire une donnée statistique d’envergure.
Nous avons marché dans les pas d’une équipe de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Tarière, vertex et pentaprisme dans le sac à dos, le matériel des forestiers. Face au changement climatique, la forêt est en première ligne. Scruter les indices de son évolution permet d’analyser sa capacité d’adaptation. Et d’agir.
« Des signes inexpliqués de dépérissement »
« Sur ce site, on a fait des observations, par photo aérienne. On a repéré que la forêt avait un côté grisé, ce qui n’est pas logique. » Sylvain Terrade connaît bien les forêts méditerranéennes.
Chef de division de l’inventaire forestier pour la zone Sud-Est, il arpente un massif de chênes verts, dont les arbres présentent « des signes inexpliqués de dépérissement ». Nous sommes à quelques kilomètres de Cotignac, au coeur de la Provence Verte. Son collègue Vincent Pietri, vérificateur écologue de l’inventaire forestier, acquiesce. « Un oeil averti voit le sommet des chênes verts. » Et leurs branches dégarnies. Les deux hommes supervisent la collecte de données qui permet d’établir un baromètre de la forêt française. « Observer, mesurer, décrire » est la mission confiée à l’IGN, capable de dresser cet état des lieux, actualisé en permanence.
« Nous avons la particularité d’aller sur tous les types de sites, propriétés publiques ou privées. C’est un suivi très qualitatif, non seulement du bois vivant, sur pied, mais aussi de la flore, du sol, tout ce qu’on peut qualifier de milieu », décrit Sylvain Terrade.
Les données reprises cinq ans plus tard
La dynamique forestière, ce sont des centaines d’années”
Ce quadrillage systématique est la garantie d’une couverture extensive du territoire. « Nous repassons sur le même point, cinq ans après, pour reprendre toutes les données. Et tous les ans, la grille se déplace. » Il existe même « un secret statistique » sur la localisation des points de l’inventaire, « afin de n’avoir aucune influence sur l’action d’un exploitant forestier, par exemple ».
Les points d’enquête sont au nombre de 7 000 en France, et 2 100 sur la zone sudest, tous les 20 km2. Selon la terminologie IGN, chaque « placette »
peut-être caractérisée par 200 critères. Avec le vertex, on estime hauteurs, angles et distances. Le pentaprisme mesure « le diamètre apparent d’un tronc en hauteur ». À l’aide d’une tarière, un tronc est creusé, libérant une « carotte ». La taille des cernes renseigne sur la pousse des années passées. « On distingue des phases plus compressées. Cela montre quel a été l’environnement de l’arbre, l’intensité de la sécheresse. »
Tendances de fond
Ici, on compte différemment. « L’échelle de temps est longue, la dynamique forestière, ce sont des centaines d’années. » L’étape supplémentaire
est d’en dégager les tendances de fond, actuelles.
« Les données ne peuvent se lire qu’à grande échelle, poursuit Sylvain Terrade. L’analyse n’est significative que sur de grandes surfaces et sur un temps long, avec la statistique. » Comment le changement climatique influe-t-il sur la forêt française ?
Les données de l’inventaire forestier national ont permis de concevoir un modèle climatique, publié par le Giec en 2007, identifiant des zones plus ou moins favorables aux espèces. Un bilan récent établit « une augmentation du stock d’arbres morts et des dépérissements », confirme l’IGN.
Désormais, l’expertise humaine peut être complétée par des prises de vues aériennes, avec une sorte de radar à lumière infrarouge. «Le Lidar dresse une cartographie très précise du territoire, en 3D, avec dix points de mesure par mètre carré au niveau du sol. » Le Var et les Alpes-Maritimes sont en partie cartographiés. L’intelligence artificielle affine la moindre variation de niveau et de végétation. Sur le pourtour méditerranéen, cette cartographie aidera à préciser le risque incendie, grâce à la connaissance du couvert végétal, même sous les arbres.