Rendez-vous sur la route de l’inflation
De la baguette à la bière artisanale du jusqu’au… chauffage des mairies, l’inflation galope. De la Tinée au coeur de la vallée du Var, les mêmes conséquences, calculs et inquiétudes.
L’inflation ? Ça tombe bien, on est en train de modifier les prix dans le système. Passez après le déjeuner, on pourra en parler ». Dont acte. Un croque-monsieur à 3,40 euros et une part de pissaladière à 2,80 euros avalés sur le pouce, attablés au milieu des derniers clients de la boulangerie, et voici que Philippe Esposito approche au pas de charge. Le capital repos accumulé pendant ses trois semaines de congés semble déjà s’être évaporé. Son four à bois, qui dégage encore un peu de chaleur après les fournées de la matinée, n’y est pour rien. Ce matin, le Fournil de Pont-de-Clans, situé en contrebas du village éponyme le long de la route qui serpente dans la vallée de la Tinée, a retrouvé ses fidèles. « Ça fait plaisir, certains étaient là dès l’ouverture », sourit-il. Mais il n’a pas vraiment eu le temps de s’appesantir avec les habitants du village ou les ouvriers de passage. Plus que jamais, ce père de famille de 44 ans est au four et au moulin. « De 5h du matin à 21h », il troque sa casquette enfarinée de boulanger avec celle d’entrepreneur, occupé à jongler au téléphone avec les fournisseurs.
« En 15 ans, je n’avais jamais augmenté mes prix. Là, je viens de le faire deux fois en un an », lâche-t-il d’emblée pour résumer la situation. « C’est la dégringolade. » Sa baguette, elle, décolle. Il la « tenait » à
0.90 euros depuis toujours. Aujourd’hui, elle affiche 1,15 euro. Dans sa boulangerie qui fait aussi snack, l’inflation ne se limite pas qu’à la baguette cuite au feu de bois. Elle est partout. De l’énergie (la facture électrique est déjà passée de 1 300 à 1 800 euros), « avec des contrats qui vont devoir être renégociés », en passant par le carburant – il a accordé une prime à ses salariés – et évidemment les matières premières.
« Jusque-là, on tenait le coup. » Depuis, les hausses sur les marchés combinées à l’augmentation du tarif des transporteurs ne sont plus supportables. En quelques mois, le prix du kilo de beurre, essentiel pour n’importe laquelle de ses préparations,
“Aujourd’hui, les pignons sont affichés à45 le kilo ! ”
a explosé, passant de 4,5 à 11 euros. Le sucre suit la même courbe vertigineuse, de 80 centimes à 2 euros le kilo. Philippe pourrait détailler longtemps mais il s’arrête après les oeufs, dont le prix a été multiplié par deux. Sur place, les traces des changements de prix récents sont encore fraîches. Sur le grand panneau qui détaille les différentes formules du snack à l’heure du déjeuner, un bout de papier scotché pour masquer le monde d’avant résume l’inflation, « jusqu’à 60 à 70 centimes supplémentaires ».
La hausse est rude et l’homme aux cheveux longs tente de l’atténuer comme il peut. Si sa baguette cuite au feu de bois affiche les 1,15 €, « sa chocolatine » (il tient au nom en mémoire de sa femme), elle, atteint des prix que l’on pouvait retrouver à Paris il y a quelques mois : 1,35 €.
Et pourtant, il l’assure : « Malgré cette augmentation, je rogne encore sur ma marge. »
Sur le visage de l’homme qui a oeuvré pendant 8 ans au four communal de Clans dans une vie antérieure se lit la gêne de celui qui doit répercuter des prix à ses clients confrontés à leur propre difficulté : « Ça m’embête d’en arriver là. » Aussi il fait tout pour que la hausse soit le moins indolore possible.
Un symbole ? Sa délicieuse tourte de blettes, dont se repaît le prince Albert II quand celui-ci gagne sa résidence secondaire à Roubion. «Au début, elle était à 2,30 euros. La voilà désormais à 3,20 euros. » Une vente qu’il réalise pourtant à perte. « Si je devais tenir compte de l’augmentation du prix des ingrédients utilisés, je devrais vendre la part à 4,5 euros », a-t-il calculé. « Les pignons sont à 45 euros le kilo ! »
Réduire les quantités ou modifier la recette ? Hors de question. « Si je la modifie, mon grand-père sortirait de sa tombe. » Pour le moment, la clientèle répond présent. « On a toujours peur que les gens se détournent. »
Mais il s’en désole, si l’entreprise a les épaules pour le faire, 2023 se fera totalement à vue.
“Malgré la hausse, je rogne encore sur ma marge”