Monaco-Matin

« Un vent de fraîcheur »

Sans basculer dans l’euphorie, le chef de la délégation française Denis Auguin voit la réussite aux Mondiaux de Budapest comme une solide pierre de posée dans l’optique de Paris-2024.

- LEANDRA IACONO

Un an après la déception des JO de Tokyo (une seule médaille), l’équipe de France de natation a brillé aux Mondiaux de Budapest, portée par une nouvelle génération de nageurs, parmi lesquels Léon Marchand (deux titres, une médaille d’argent à 20 ans). Avant de rejoindre les championna­ts d’Europe Junior la semaine prochaine en Roumanie pour encadrer la relève, dont il a la charge depuis septembre dernier, l’ancien entraîneur d’Alain Bernard et patron du CN d’Antibes Denis Auguin a accepté de faire un point d’étape à deux ans des Jeux de Paris.

Quel bilan dressez-vous de ces Mondiaux ?

On est très content. On a fait 8 médailles et égalé notre nombre de finales disputées sur un même championna­t du monde (19, comme à Shanghai en 2011) .Ilfaut évidemment être prudent parce qu’il n’y avait pas les Russes et il manquait quelques très bons champions. Mais nos nageurs, la plupart encore très jeunes, ont progressé, c’est le plus important. Ils ont su nager vite quand ça comptait le plus, c’est-à-dire en finale.

Vous attendiez-vous à de tels résultats ?

On a été agréableme­nt surpris par le nombre de médailles. Quand on a eu nos chances, on n’en a pas raté beaucoup. Ça a souvent tourné à notre avantage. Les centièmes sont passés du bon côté. Ce n’est pas de la chance, c’est du travail. Les stratégies de courses ont été bien pensées. On aurait fait 4 médailles, le bilan aurait été tout aussi positif. Au niveau de l’évolution et de la progressio­n de nos nageurs, c’est allé un peu plus vite qu’on ne le pensait, même si on savait qu’il allait se passer des choses intéressan­tes.

Léon Marchand, Maxime Grousset et Analia Pigrée ont « explosé » au même moment.

Ces trois nageurs étaient déjà performant­s les années précédente­s avec des finales olympiques. Quand vous faites, 4, 5 ou 6e aux JO, on ne parle pas beaucoup de vous mais ça veut dire que vous êtes dans le bon

Le travail porte ses fruits pour Denis Auguin et la natation française.

wagon. Ils ont encore progressé et il y a eu une bonne surprise au bout avec ces médailles.

On sent de nouveau une vraie dynamique au sein du clan français.

On est souvent admiratif de ce que font les autres et on n’ose pas faire comme eux. Pourquoi nous les Français, on ne pourrait pas enchaîner plusieurs courses, nager en individuel et en relais lors de la même demijourné­e. Il y a effectivem­ent un petit vent de fraîcheur et d’ambitions qui se dégage. Il faut absolument qu’on l’entretienn­e. C’est aussi le job de l’encadremen­t de faire comprendre aux nageurs qu’il faut tenter des paris, même s’ils ne marcheront pas tous.

Quelles images fortes retenez-vous de cette semaine ?

J’en ai trois en tête. Bien sûr, la victoire de Léon Marchand sur le 400 m 4 nages. On est sur une performanc­e très proche du record du monde. C’est parfaiteme­nt exécuté, c’est magnifique. Après il y a Maxime Grousset qui a failli emporter le 100m NL alors qu’il était loin d’être favori, avec une stratégie un peu audacieuse. Je pense aussi au relais 4x100 m 4 nages messieurs. On en a moins parlé parce qu’on finit 5e. Mais sur le papier, on avait une équipe pour faire entre 8 et 10, pas plus. Ce relais représente bien l’équipe de France actuelle avec de jeunes garçons (entre 20 et 23 ans) qui progressen­t et seront, on l’espère, en pleine possession de leurs moyens aux JO de Paris.

Comment pérenniser ce qui a été fait à Budapest ?

Le sport en général et la natation en particulie­r demande des volumes d’entraîneme­nt énormes et une abnégation de tous les instants. Quand ces moments de bonheur arrivent, il faut savoir en profiter. Et d’un autre côté, il faut pouvoir se dire que la plus belle médaille, c’est finalement la prochaine et pas celle que l’on vient de faire. Il faut beaucoup de travail et d’humilité.

Léon Marchand a impression­né.

Il n’avait pas terminé très loin du podium l’année dernière à Tokyo. Il avait une marge de progressio­n importante. Il s’entraîne désormais avec Bob Bowman, l’ancien coach de Michael Phelps. Ce qui m’impression­ne le plus chez lui, c’est la maîtrise, la science remarquabl­e qu’il a pu mettre dans ses courses. En finale du 200 m 4 nages, il passe le premier 50 mètres en huitième position. Ça demande un sang-froid et une confiance en soi

A contrario, d’autres nageurs plus expériment­és ont déçu comme Florent Manaudou ou Charlotte Bonnet*.

Ce sont deux nageurs en période de transition. Flo a bientôt 32 ans. Il a besoin d’avoir des périodes d’entraîneme­nt beaucoup plus light pour éviter d’arriver avec moins d’envie et de possibilit­és de s’entraîner dur l’année des Jeux. Il ne voulait pas couper avec l’entraîneme­nt pour ne pas repartir de zéro mais c’était très clair dans son plan d’avoir une saison comme ça avec un programme incroyable pour un garçon de cet âge-là. Il a été très bien formé par Nicolas Castel jusqu’à l’année dernière à Toulouse. Ce mélange entre une formation bien réussie et l’expérience de Bowman a créé un cocktail explosif.

Lui, comme les autres, vont maintenant devoir gérer l’après.

Le plus dur commence bien évidemment. Mais il ne faut pas s’empêcher d’être ambitieux. Il faudra assumer, avancer. Tout ne sera pas rose sur la route des Jeux. Il y aura des moments plus difficiles, de doute. La première pierre de l’édifice est bien posée. Elle est solide.

On est un peu en avance sur notre programme. Ce n’est pas plus mal qu’ils aient à gérer cette nouvelle notoriété, cette nouvelle pression un peu avant les Jeux plutôt que ça leur tombe dessus quelques mois avant la compétitio­n, qui plus est en France. Ce qui est extrêmemen­t rare et particulie­r pour un athlète.

Vous êtes responsabl­e de la relève depuis neuf mois désormais. Comment se porte la jeunesse ?

Je pars à la fin de cette semaine au championna­t d’Europe Junior. On aura une très belle équipe en nombre mais surtout en qualité. On pourrait avoir de très belle surprise. Il y a des nageurs et des nageuses qui auraient pu postuler aux Mondiaux Senior mais qu’on a préféré protéger. Ils auront 20-21 ans aux JO de Paris, j’espère qu’on pourra s’appuyer sur eux pour densifier cette équipe de France.

Le staff tricolore s’est élargi et s’est ouvert à d’autres méthodes.

Avec Jacco Verhaeren, le directeur de toutes les équipes de France, la première chose que l’on a fait, c’est d’aller à la rencontre des gens. J’ai visité plus de 40 structures cette année. On a établi des liens de confiance, ce qui nous a permis d’aller beaucoup plus vite ensuite. L’équipe est soudée et les nageurs sentent que le staff français est très impliqué dans leur préparatio­n. Lorsqu’on arrive en compétitio­n internatio­nale, le lien est déjà fait. On a déjà l’habitude de prendre des décisions ensemble. Tout ça renforce l’esprit collectif. Avant les Mondiaux, on a fait dix jours de stage tous ensemble à Canet. On a tout bien préparé. Jacco, Bob ou moi, on est là pour apporter le plus de sérénité possible au sein de l’équipe. On a fait beaucoup d’effort sur tous les petits détails. On a un staff beaucoup plus élargi que les années passées et ça nous permet d’être plus efficient dans tous les domaines. Mais, les nageurs, les coachs et les gens qui étaient là avant nous, ce sont eux qui ont lancé ça. On n’est pas des magiciens.

‘‘ La plus belle médaille ? Toujours celle d’après”

Comment abordez-vous ces deux ans avant Paris-2024 ?

On a des individual­ités intéressan­tes, relativeme­nt jeunes en plus. On a une marge de progressio­n. On a une équipe assez élargie, avec d’autres jeunes qui arrivent. Il nous manque un peu de densité pour pouvoir affronter les nations très fortes, notamment dans les relais. Pour être performant, il faut qu’on puisse protéger nos meilleurs nageurs lors des séries par exemple. On est à deux ans des Jeux, c’est le moment pour les nageurs de s’exprimer. L’année est particuliè­re, il y a les championna­ts d’Europe qui arrivent (11-21 août à Rome). Ce n’est pas facile à gérer et certains comme Léon Marchand ont choisi de faire l’impasse. Avec un niveau un peu moins élevé, ça va permettre à certains de nos nageurs de passer en finale et de prendre de l’expérience. Ce sont des choses dont on a besoin pour densifier l’équipe.

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(Photo DR)

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