Brendan Kemmet : « Le rapport de force a évolué »
Reporter spécialisée dans les affaires criminelles et auteur de livres (La traque du Grêlé, Maghreb connection, Les parrains du foot), Brendan Kemmet a notamment enquêté sur ceux que l’on nomme des « beaux voyous », comme le braqueur et le roi de la Belle Antonio Ferrara ou Rédoine Faïd. Le journaliste décrypte pour nous l’évolution du « milieu » de ses grandes heures aux nouveaux caïds d’aujourd’hui.
Le grand banditisme existe-t-il toujours ?
Le grand banditisme, c'était traditionnellement le milieu corso-marseillais ou le milieu parisien. Il faut reconnaître que c'est quelque chose qui est en recul important mais qu’il faut nuancer de toute déduction. Aujourd’hui, le banditisme des cités ou le narcobanditisme domine, semble plus présent et plus dynamique. C'est une question de génération avec des personnages qui ont vieilli ou disparu. C'est évident que ça change. Le « milieu », qui pouvait être un juge de paix dans des conflits de territoires, est en net recul, et c'est plus anarchique désormais.
Les trafiquants des cités ont-ils pris le pouvoir dans le cercle de la criminalité organisée ?
Sur le narcobanditisme, c'est un phénomène très simple comme on le raconte dans Maghreb connection. À Paris comme à Marseille, on voit dès le début des années 2000, dans les cités, des équipes, des fratries de jeunes qui ont compris qu’ils pouvaient court-circuiter les anciens. Ils se fournissent directement en shit en Espagne, depuis le Maroc, grâce à des liens familiaux. Ces jeunes n'ont pas suivi le cursus habituel qui existait depuis des dizaines d'années en France. Ils font leur business de leur côté. Il n'y a plus ce qui existait jusqu'aux années 1990-2000, avec les « anciens » installés en Espagne, qui faisaient la tête de pont pour le trafic de haschich, qui ensuite négociaient avec des équipes pour rapatrier la drogue pour la rediffuser. Le rapport de force a évolué.
La nouvelle génération qui courtcircuite des pratiques établies entraîne-t-elle l’extinction des caïds à l’ancienne ?
C’est très différent de ce qu’il se passait il y a vingt ou trente ans. C’est très diffus. On voit même des règlements de comptes dans des villes moyennes, comme dans le Vaucluse. On ne parle pas ici de grand banditisme, mais plutôt de narcotrafic, qui est amené à se maintenir et à se développer. Ces équipes peuvent gagner énormément d'argent en très peu de temps, avant de passer à autre chose. À la cocaïne par exemple. Mais, de là à parler de disparition du grand banditisme, il faut être plus nuancé. À Marseille, on se rend compte que le milieu traditionnel a des relations avec ces équipes de cités pour des transactions de cocaïne. C'est un marqueur aussi du grand banditisme. Cette pratique où les anciens s'appuient sur les plus jeunes, sur les forces vives, sur les soldats. Comme l'ont fait les Jacky Imbert et Roland Cassonne à Marseille dans les années 80, en s'appuyant sur les Campanella ou les Barresi.
On parle souvent de parrains...
Il y a des noms qui comptent, mais parfois, on construit des mythes aussi. Par exemple, dans le Var, Jean-Louis Fargette, qui est plutôt décrit comme un lieutenant du milieu marseillais, a été présenté comme le parrain du Var. La police fait de certains voyous des personnages, et se nourrit des grandes figures du milieu. Ce n’est pas seulement des inventions de journalistes (rires) .Siles journalistes le disent ou l’écrivent, c’est qu’ils l’ont entendu.
Où sont les nouveaux grands voyous ?
Il y a de grandes familles qui s’installent à Dubaï, dont les membres sont considérés comme de grands voyous. Ce sont plutôt de « grands commerçants » qui ont investi dans le shit. Ils ont grandi dans une spécialité, dira-ton. Ils n’ont pas connu le côté racket, les vols à main armée, qui étaient une sorte de cursus universitaire du milieu. Ils se retrouvent rapidement très riches. Ils dirigent leurs réseaux de l'étranger mais ils n'ont pas l'aura des Campanella ou des Barresi, qui ont mouillé leurs chemises. Pour cette nouvelle voyoucratie, leur problème numéro 1 est l’étape du blanchiment. Peu arrivent à investir cet argent sale et que ce soit durable. C'est cette phase qui fait la différence entre les petits et les grands voyous. Un magistrat m'a confié qu'il fallait stopper ces personnages-là avant qu'ils ne deviennent respectables.