Monaco-Matin

« Donner un nouveau souffle »

Au bout d’une saison 2021 de vaches maigres, Hervé Poncharal, le patron du team varois Tech3, a hâte de prendre le taureau par les cornes avec deux jeunes talents de la filière KTM.

- PROPOS RECUEILLIS PAR GIL LÉON

Depuis que le commando Tech3 a quitté Yamaha pour passer à l’orange KTM, c’est peu dire que les saisons se suivent et ne se ressemblen­t pas. Ainsi, tout juste auréolée de ses deux premières victoires en MotoGP conquises en 2020 par un Miguel Oliveira éblouissan­t, la structure varoise est soudaineme­nt rentrée dans le rang. Sans son prodige lusitanien, promu au sein du team KTM usine, impossible de retrouver la lumière des podiums. Danilo Petrucci, le successeur pas vraiment à la hauteur des attentes, et Iker Lecuona, le jeune loup encore et toujours branché sur courant alternatif, n’ont pu que ramasser les miettes. Voilà pourquoi Hervé Poncharal vient de faire table rase du passé afin d’accueillir deux rookies. Pas n’importe qui : le champion du monde Moto2 2021, l’Australien Remy Gardner, digne fils de Wayne Gardner, et son très prometteur dauphin, l’Espagnol Raul Fernandez. Rencontre entre bilan et perspectiv­es avec le capitaine du vaisseau ancré à Bormes-les-Mimosas.

Hervé, il faut plonger profond dans le classement final 2021 pour trouver les pilotes Tech3. Lecuona 20e, Petrucci 21e : auriez-vous pu imaginer un instant un tel tir groupé il y a un an ?

Pour nous la saison 2020 fut exceptionn­elle. Il y a un an, on venait tout juste de la conclure en beauté grâce au week-end parfait réussi par Miguel (Oliveira) à domicile (pole position et victoire avec le meilleur tour en course au GP du Portugal, ndlr). Allez, je suis sûr que vous vous souvenez de ce que je vous avais dit à ce moment-là. Carpe diem, jouissons de l’instant présent ! Miguel était parti renforcer le team KTM usine. Par conséquent, sachant pertinemme­nt qu’un plus un ne fait pas toujours deux dans le monde des sports mécaniques, je m’attendais à vivre un exercice 2021 plus compliqué. Mais pas aussi compliqué, soyons honnêtes.

Danilo Petrucci, on peut dire que ce fut une erreur de casting ?

KTM voulait au moins un pilote expériment­é au sein de son quatuor. Une fois le départ de Pol Espargaro chez Honda acté, courant 2020, ils ont choisi Danilo. Si j’aime beaucoup le personnage, à mes yeux, leur décision comprenait un risque, sportiveme­nt parlant. Parce que maintenant, la jeunesse prime. C’est elle qui dicte le tempo. Fabio (Quartararo) et ‘‘Pecco’’ (Francesco Bagnaia) l’ont démontré cette année. Danilo a peiné à s’adapter à la KTM.

Avant la coupure estivale, il m’a dit :

‘‘Tu sais Hervé, je fais peut-être l’année de trop. D’une part, mon gabarit supérieur à la moyenne me pose problème. Et puis au guidon, je sens que je stagne.’’ C’est rare d’entendre un pilote parler ainsi, avec autant de lucidité, de franchise.

En fin de compte, il n’a pas démérité. Il n’était pas complèteme­nt largué. Mais il a compris qu’il ne pourrait plus taquiner les cadors. Danilo va changer de cap mais son aventure avec KTM se prolongera l’an prochain. On le verra sur d’autres pistes (celles du Dakar 2022 qu’il découvrira en chevauchan­t une moto officielle... et en portant les couleurs du team Tech3).

Et Iker Lecuona ?

Iker, il est jeune, il va vite mais il a du mal à contrôler ses émotions, son tempéramen­t de feu. Tenez, on vient de recevoir les statistiqu­es concernant les chutes. En 2021, c’est lui le recordman ! (26 gadins au compteur, soit 4 de plus que Marc Marquez, 2e...) Personne ne peut mettre en doute le talent qui est le sien. De quoi viser le top 5, parfois. Hélas, son évolution durant cette saison 2 ne fut pas vraiment époustoufl­ante. On attendait mieux.

Il n’a pas assez appris de ses erreurs.

En 2021, on espérait aussi voir les KTM poursuivre leur spectacula­ire montée en puissance amorcée un an plus tôt...

Miguel gagne une course à

Barcelone. Il finit 2e au Mugello et au Sachsenrin­g. La machine semblait bien partie au printemps. Après le break de juillet, Brad (Binder, le coéquipier sud-africain d’Oliveira chez Red Bull KTM) réussit un coup de génie en Autriche, où il s’impose en pneus slicks sous la pluie avec beaucoup de courage. Et puis il finit 6e du championna­t, mine de rien. Donc la saison n’est pas catastroph­ique, même s’il y a un peu de déception à l’heure du bilan. Les écarts demeurent assez ténus. On n’est pas très loin des meilleurs et cela nous donne du coeur à l’ouvrage pour travailler dur cet hiver et redémarrer plus fort le 4 mars prochain au Qatar.

Concrèteme­nt, il manquait quoi côté machine ?

‘‘

L’intuition est devenue une évidence ”

À vrai dire, on ne connaît pas la vraie valeur de la KTM RC 16. Pour avoir des éléments tangibles de comparaiso­n, il faudrait que Fabio Quartararo tourne demain sur le même tracé successive­ment avec la KTM, la Yamaha, la Honda, la Suzuki, la Ducati et l’Aprilia. Le champion du monde 2021, il a décroché le titre au guidon d’une Yamaha. Quel autre représenta­nt de cette marque a réussi à enchaîner des bons scores ? Aucun ! La performanc­e, c’est l’addition du pilote, de la machine et de l’équipe, voilà ! Chez nous, par exemple, les combos Petrucci-KTM-Tech3 et Lecuona-KTM-Tech3 n’ont pas eu le rendement escompté. Mais la KTM 2021, elle avait le potentiel pour se battre aux avantposte­s puisque Brad et Miguel sont montés plusieurs fois sur le podium. Pourquoi était-elle moins constante que certaines concurrent­es ? À cause des pilotes ? Des teams ? Attention, le facteur humain pèse lourd. Surtout quand les écarts s’avèrent aussi minces entre les six constructe­urs en lice.

Quels axes de développem­ent prioritair­es ont été définis pour la moto 2022 ?

D’abord, il faut travailler sur l’adhérence. Parce qu’on a un problème pour passer la puissance au sol. Un souci qui s’amplifie quand le mercure monte, d’ailleurs. Plus il fait chaud, plus c’est compliqué. On doit encore plancher sur la sortie des virages lents. Les pilotes appréciera­ient un moteur plus onctueux à la reprise des gaz. Et puis Danilo s’est souvent plaint de ne pas pouvoir tirer la quintessen­ce de son matériel en qualificat­ions. Donc, l’exercice du ‘‘flying lap’’ (tour rapide) constitue aussi un sujet de réflexion. Enfin, quand on voit ce qui se fait chez Ducati, une marge de progressio­n apparaît dans deux domaines importants : l’aéro et l’électroniq­ue.

Négocier le virage 2022 avec deux nouveaux pilotes, ce n’était pas votreplanA?

Réponse cash : si, c’était mon idée première ! Pendant la saison, évidemment, je ne l’ai pas crié sur les toits. Très tôt, j’ai senti qu’il faudrait donner un nouveau souffle. Et l’intuition est devenue une évidence lorsque la course au titre Moto2 a pris la forme d’un duel entre pilotes de la filière Red Bull KTM. Si deux jeunes loups aussi prometteur­s tapent à la porte, mieux vaut ouvrir, les accueillir. Sinon ils filent illico dans une autre maison, en face ou à côté.

Avec Remy Gardner, il s’agit de retrouvail­les, trois ans après.

Il a beaucoup changé ?

Ah oui ! C’est un autre homme, un autre pilote. À l’époque (2017 et 2018, en Moto2), il était un peu paumé. Depuis, il a trouvé une belle stabilité dans sa vie personnell­e. Il s’est construit, quoi ! Et cela lui a permis de faire un sacré bond en avant dans la catégorie intermédia­ire. Première victoire en 2020, champion du monde en 2021 ! À 23 ans, ce rookielà débarque avec un profil de vieux briscard puisqu’il totalise cinq saisons en Moto2. Il connaît la course. Il sait gérer sa progressio­n. Et il possède un bagage technique intéressan­t, ce qui ne gâche rien.

Et Raul Fernandez ? On le présente comme une pépite. Vous confirmez ?

Absolument. Son talent hors norme crève les yeux. Il suit les traces de Rossi, Marquez, Fabio. Là, alors qu’il découvre le Moto2, à 20 ans, il décroche 8 victoires et le titre lui échappe pour 4 points. C’est un diamant brut. Reste à le polir. Le genre de challenge qui m’excite.

Donc l’objectif coule de source. Vous viserez a minima le titre de meilleur rookie ?

Oui, ça me semble logique. Mais ce ne sera pas facile. Les deux derniers lauréats s’appellent Fabio Quartararo et Jorge Martin. Leur successeur devra se montrer aussi fort en trouvant le chemin du podium. Sûr et certain.

 ?? (Photos Tech3) ?? Hervé Poncharal et Remy Gardner (cicontre lors des essais post-saison à Jerez) : comme on se retrouve !
(Photos Tech3) Hervé Poncharal et Remy Gardner (cicontre lors des essais post-saison à Jerez) : comme on se retrouve !

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