Monaco-Matin

« Durcir les peines n’empêche pas les bonnes conditions carcérales »

Nouvelle directrice de la maison d’arrêt de Grasse, Françoise Conte, croit au dialogue pour apaiser toute tension avec ses 630 détenus, condamnés ou en attente de jugement.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Enfermé dans son cadre audessus du bureau, Emmanuel Macron. Ici aussi, dans la maison d’arrêt de Grasse, trône le portrait du président de la République. Un scrutin intra-muros sera d’ailleurs organisé pour les élections 2022. Mais pour l’heure, la « patronne » des lieux se nomme Françoise Conte. À 700 mètres d’altitude, Madame la directrice est en terrain de connaissan­ce dans cette prison pour les peines courtes (moins de deux ans) et la détention provisoire. Native de Nice, elle en fut directrice adjointe de détention dès 2003, avant d’en devenir DRH (« un poste que j’ai créé ») de 2005 à 2010. Après un premier poste de direction à Salon-de-Provence, cette mère de famille, devenue grand-mère depuis peu, est de retour dans cette enceinte de béton édifiée sur les hauteurs de la cité des parfums, dans un décor extérieur idyllique dont ne peuvent guère jouir ses pensionnai­res.

Manifs, mutineries, évasion, surpeuplem­ent… L’établissem­ent pénitentia­ire a connu son lot de péripéties sous son prédécesse­ur, Xavier Villeroy. Mais dans son ensemble rose pâle, de son regard bienveilla­nt, celle qui voulait oeuvrer dans l’éducatif entend faire respecter les règles, tout en améliorant encore et toujours les conditions de détention. Parce qu’au-delà de ses murs, la prison doit aussi rimer réinsertio­n.

Quelle est votre philosophi­e pour diriger l’établissem­ent ?

C’est une notion de service public. L’intérêt de la société, c’est que les détenus trouvent leur place à leur sortie.

Mais leur garde n’est pas seulement sécuritair­e, il faut aussi assurer leur intégrité physique, réduire les violences, veiller à leur état de santé, améliorer leurs compétence­s avec la formation, l’enseigneme­nt, le travail, pour les préparer au mieux.

La tendance pré-électorale est à une plus sévère répression et au durcisseme­nt des peines ?

Durcir les peines n’empêche pas les bonnes conditions carcérales. Moi, je ne suis pas juge, mais à partir du moment où une personne nous est confiée, prévenu ou condamné, ma mission est que le chemin aille dans le bon sens. Car la mise à l’écart ne doit pas signifier désocialis­ation. D’ailleurs, ceux qui ont leurs droits civiques pourront voter pour la prochaine élection présidenti­elle.

Vous revenez dans un établissem­ent qui a connu des troubles ces derniers mois…

C’est une prison, avec plus de 600 personnes dans une situation sociale compliquée, qui ne se caractéris­ent pas toujours par le respect des règles. La mutinerie [en mars 2020, Ndlr], c’était davantage un refus de réintégrer leurs cellules à cause des nouvelles mesures anti-Covid. On essaie, sauf pour les cours, de ne pas mélanger les détenus des trois bâtiments. Maintenant, les choses sont intégrées et acceptées, mais il faut communique­r régulièrem­ent avec les détenus. Leur expliquer par exemple que la paroi de plexiglas installée au parloir est une protection antivirus, et non pas une volonté de les séparer davantage de leurs proches. C’est ça ou les familles ne sont plus autorisées à les visiter. C’est une restrictio­n, c’est vrai, mais c’est pour sauver le parloir. Moi, durant toute l’année 2020, je n’ai pas non plus embrassé ma fille qui était enceinte, à cause des risques. Quand on fait appel au bon sens, on y arrive avec la plupart des détenus.

Vous avez aussi renforcé la sécurité de l’établissem­ent ?

De gros chantiers étaient déjà en cours avant mon arrivée. On a changé tous les canons de serrure et on a réorganisé la remise des clés. On a également refait le grillage des cours de promenade, afin d’éviter une communicat­ion visuelle de l’une à l’autre. Tout le dispositif anti-incendie est en train d’être rénové, mais on a déjà obtenu l’avis favorable de la commission de contrôle.

Pas d’autres travaux à prévoir ?

Dans un établissem­ent qui a 30 ans, il y a toujours quelque chose à faire. Depuis février, nous avons une nouvelle unité sanitaire beaucoup plus spacieuse et fonctionne­lle, et l’ancienne doit être affectée à un pôle socio-judiciaire. Dans l’absolu, il faudrait un gymnase couvert, en plus du plateau omnisports, du terrain de foot, et des salles de musculatio­n, mais il ne faut pas trop rêver non plus. L’établissem­ent est correcteme­nt équipé, et les cellules sont entretenue­s et en bon état.

Toujours en surpopulat­ion ?

Nous sommes aujourd’hui à 110 % du taux d’occupation, avec 630 détenus (contre 169 surveillan­ts) pour une capacité théorique de 574 places. Mais à ce niveau-là, ce n’est pas problémati­que. Ici, les conditions sont plutôt bonnes avec un ou deux détenus par cellule en lits superposés, mais aucun matelas au sol. Et la plupart sont du 06, donc proches de leur famille.

Mineurs, condamnés à de courtes peines ou prévenus en attente de jugement, vos détenus ont droit à quoi ?

Ils n’ont pas le téléphone portable mais il y a une cabine téléphoniq­ue dans chaque coursive. En cellule, les détenus qui ont des revenus louent la télé avec Canal +, les moins fortunés l’ont gratuiteme­nt. Ils disposent aussi d’un frigo, et de plaques chauffante­s. Avec deux heures de promenade matin ou après-midi, les activités en ateliers et le sport.

Et pour Noël ?

En principe, rien ne rentre de l’extérieur sauf pour les fêtes. Noël est une période difficile pour les détenus car ils ne sont pas en famille, et à cause de la Covid, nous ne pouvons pas organiser de goûter avec pères et enfants. Mais les détenus ont droit de recevoir un colis de 5 kg, sans alcool ni produits frais car on les garde 24 heures avant remise, afin d’éviter toute contaminat­ion à la Covid.

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(Photo Patrice Lapoirie) Françoise Conte, directrice de la maison d'arrêt de Grasse.

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