Monaco-Matin

« Poutine est moins radical que Ciotti et Zemmour »

Diplomate avant d’être romancier, il a vécu la fin de l’URSS dans l’entourage de Gorbatchev. Critique envers Poutine, Vladimir Fédorovski déplore toutefois une « diabolisat­ion » de la Russie.

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Loin des histoires de pouvoir encore que -, Vladimir Fédorovski s’intéresse dans son dernier livre, Amour et inspiratio­n ,aux liens entre les artistes, leurs muses et leurs collection­neurs. Celui qui a connu Dali et Gala, Rudolf Noureev ou encore Lydia Délectorsk­aya, si proche à Nice de Matisse, brosse plutôt ici un portrait de Poutine, en évoquant d’autres figures dont Gorbatchev, Eltsine ou Navalny.

Le 25 décembre 1991, l’URSS s’effondrait. Quel souvenir gardez-vous de cette époque ?

C’est une époque extraordin­aire, d’un très grand espoir. Une période lumineuse pour moi, qui étais cofondateu­r du Mouvement des réformes démocratiq­ues, porte-parole des anti-putschiste­s. On pensait créer un nouveau monde, on n’en était pas loin. Mes souvenirs ? La chute du mur avait été décidée en juin 1989, dans une réunion très rude, à cinq, dans une salle assez secrète du Kremlin. Il y avait d’un côté le chef du KGB et le ministre de la Défense, et de l’autre mes amis réformateu­rs Iakovlev et Chevardnad­ze, alors ministre des Affaires étrangères. Gorbatchev, qui tenait le rôle d’arbitre, est rentré chez lui sans trancher car son épouse et grande inspiratri­ce, Raïssa, détestait qu’il soit en retard pour dîner. Iakovlev a décroché le téléphone pour appeler Raïssa et lui dire ceci :

« Si nous acceptons ce plan, on est otages du KGB et de l’Armée. C’est la fin des réformes, nous serons chassés du pouvoir et peut-être même exécutés. » Elle a répondu : « On verra… » Le lendemain, la décision était prise.

Trente ans plus tard, on ne peut pas dire que les relations avec l’Occident s’en soient trouvées améliorées.

La fin du communisme ? Presque un hasard. Le système était basé sur la terreur. La Perestroïk­a a progressé, l’URSS s’est écroulée parce que Gorbatchev ne voulait pas tuer. Contrairem­ent à Eltsine, ensuite, qui, outre le fait qu’il était idiot et qu’il a bradé la Russie, a fait tirer sur la foule depuis une tour de télévision, c’était en 1993. Mille cinq cents morts. Si vous trouvez quelqu’un qui en a parlé à l’époque en Occident, je vous offre le champagne. En tout cas, avec Gorbatchev, une chance historique se présentait. Ne pas l’avoir saisie, m’a dit un jour le grand ambassadeu­r américain George Kennan, emblématiq­ue de la guerre froide, aura été la plus grande erreur de l’Occident depuis J.-C. !

Qu’est devenu Gorbatchev dans la mémoire du peuple russe ?

Il est, aujourd’hui, le personnage que les Russes haïssent le plus. Mais cela ne veut rien dire. La sortie de la guerre froide et du communisme sans effusion de sang, c’est quelque chose d’extraordin­aire. Gorbatchev était volontaire. Mégalo, certes, grisé sans doute par son rôle dans l’histoire. Voici cependant la dernière phrase que Mitterrand m’adite: « Gorbatchev n’appartient pas au passé, mais à l’avenir. » Malheureus­ement, depuis, tout le système de contrôle des armes a été détruit. De même que la liberté de la presse a disparu. Au lieu d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural, nous sommes retombés dans une confrontat­ion totale, sans aucun fusible.

“La fin du communisme ? Presque un hasard...”

Poutine est-il un dictateur ?

Non, ce sont des bêtises. Un dictateur, c’est Staline, aujourd’hui l’homme le plus populaire du pays… Poutine, c’est un système autoritair­e. Je suis le premier critique, mais une chose est sûre : après Eltsine, la Russie était au bord de la dislocatio­n. Poutine a rétabli l’autorité de l’État et s’est posé politiquem­ent, mais c’est un jeu de propagande, comme l’antithèse d’une société occidental­e qui se serait islamisée et aurait trahi ses valeurs. Il a su incarner une frustratio­n profonde et a poussé une Russie bicéphale à se tourner vers la Chine, plutôt que vers l’Europe.

Ce que vous décrivez n’est-il pas très présent actuelleme­nt dans le débat français ?

En réalité, Poutine, que je connais, est profondéme­nt pro-occidental. Tout ceci est une mise en scène pour garder le pouvoir. Entre nous, il est moins radical que Ciotti et Zemmour ! Au-delà de tout ceci, le problème, pour moi, c’est la diabolisat­ion de la civilisati­on russe. Je pense que c’est contreprod­uctif, intellectu­ellement, et que l’on peut même y voir une connotatio­n raciste. Poutine a créé un système oligarchiq­ue et autoritair­e qui doit être réformé, où 50 personnes dirigent 50 % de l’économie. Et il y a un problème de succession. Les néostalini­ens, qui ont déjà le vent en poupe, pouvant être favorisés par le risque de guerre avec l’Ukraine. Un risque très grand, puisqu’il suffit d’une erreur militaire pour que cela se transforme en une guerre européenne, peut-être même mondiale.

“Le problème, c’est la diabolisat­ion de la civilisati­on russe” Biden et Poutine se sont parlé cette semaine…

Le rétablisse­ment du contact est vital. Il y a un petit espoir de désescalad­e que je tiens à saluer. Jusqu’à maintenant, les médias américains ont stigmatisé la Russie, Poutine s’est posé en citadelle assiégée et les Ukrainiens, dans l’impasse sur le plan intérieur, ont contribué à mettre tout cela en scène. Des manipulati­ons tous azimuts.

Alexeï Navalny a-t-il été empoisonné sur l’ordre de Poutine ?

J’ai beaucoup de sympathie pour lui, même si je ne le connais pas personnell­ement. Le grand problème, en Russie, c’est la corruption. Je crois qu’il faut créer en Russie un consensus sur cette question. Poutine, à mon avis, aurait plutôt dû donner une médaille à Navalny.

Navalny, c’est la lutte contre la corruption, mais aussi contre l’immigratio­n ?

Navalny est un mélange très bizarre entre Mélenchon, Macron et Marine Le Pen. Dans la politique, il faut voir la priorité. Et comme je l’ai dit, la priorité, c’est la lutte contre la corruption. Après, franchemen­t, quand Poutine veut empoisonne­r, il empoisonne. Il ne le fait pas à moitié. Peut-être qu’avec mon franc-parler, je dérange, mais quand j’ai risqué ma vie, autrefois, pendant la résistance au putsch de Moscou, je n’allais quand même pas me dégonfler devant les pauvres morveux qui me menaçaient !

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(Photo Patrice Lapoirie) « Poutine est profondéme­nt pro-occidental. Tout ceci est une mise en scène pour garder le pouvoir », affirme Vladimir Fédorovski.

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