Le manque de matières premières bride la reprise
BTP, automobile, agroalimentaire : de nombreux secteurs sont affectés par un redémarrage à plusieurs vitesses dans le monde. Les entreprises locales en subissent les effets.
La Covid-19 n’a pas fini de révéler ses effets secondaires. Y compris pour l’économie. L’heure devrait être à l’euphorie de la reprise économique ; pour de nombreux acteurs, elle vire à la soupe à la grimace. En cause : la pénurie de matières premières.
Le BTP, l’agroalimentaire, l’auto, le vélo… Toutes ces filières souffrent de maux similaires. La reprise d’activité qui a pris au dépourvu certains fournisseurs. Le rythme différent d’un pays à l’autre, intimement lié à celui des campagnes de vaccination. Et la désorganisation des filières d’approvisionnement. Transition difficile ou nouvel ordre durable ? Dans ce domaine-là, le traitement viendra moins des États que du marché.
BTP : « On se retrouve en bout de chaîne »
« On risque d’avoir des chantiers à perte. En seize ans d’activité, c’est la première fois que je vois ça ! Et tout le monde est impacté. »
Le BTP est à l’économie ce que N’Golo Kanté est aux Bleus : quand il va, tout va. Mais voilà : le BTP souffre, justement. Les prix des matériaux flambent. Les marges se réduisent. Les délais s’allongent. Et Vincent Isaia en observe les effets directs, à la tête d’Isaia Group à Saint-Laurent-du-Var. D’un côté, les prix des matériaux galopent alors que des chantiers ont été signés à des conditions tarifaires aujourd’hui révolues. De l’autre, les produits se font désirer. Du coup, Vincent Isaia a dû « jongler » pour équiper les cuisines d’une plage privée à temps pour l’été. Ou pour dénicher des ossatures de cloisons pour le futur campus des métiers de la plaine du Var, moyennant un surcoût de 15 %.
« Les chantiers ont repris en Chine ou aux États-Unis avant nous. Du coup on passe après », soupire Vincent Isaia. À cela s’ajoute la brouille américano-canadienne au sujet du bois. « Du coup, les ÉtatsUnis l’achètent en Finlande, deux fois plus cher que nous… et il n’y en a plus ! On se retrouve en bout de chaîne. Et on ne peut pas finaliser les chantiers. »
Automobile : « Certains ont fait monter les enchères »
« C’est un peu bizarre, comme pénurie… » Claude Alzina est perplexe. Ce Laurentin préside la Fédération française de l’automobile (FFA), alliée à la
Fédération française de la carrosserie. Le manque de matières premières, il n’en doute pas. Mais il pense aussi « que certains profitent de l’occasion pour faire monter les enchères… »
Depuis la crise sanitaire, l’auto pâtit d’un manque de « composants électroniques produits en Asie du Sud-Est ». Or la chaîne automobile ne peut tourner sans ces maillons essentiels. « Ça plombe la construction, mais aussi la réparation. Il faut compter quatre fois le temps d’approvisionnement pour des pièces détachées… quand ça arrive ! Résultat : des véhicules restent immobilisés 2-3 semaines au lieu de 2-3 jours. C’est le consommateur qui paie les pots cassés. »
Les fournisseurs, pense Claude Alzina, auraient été pris de court par la reprise des usines, alors que leurs stocks avaient fondu. Résultat : « Les prix de ces composants électroniques ont flambé de 2530 %, et ça ne fait qu’empirer ! » Point commun entre les filières auto et pharmaceutique : «Ona délaissé la production. Il faudrait la rapatrier pour ne pas être dépendant des autres. »
Agroalimentaire : « Jamais vu une telle hausse des prix ! »
« Je n’ai jamais vu une telle augmentation générale du prix des produits ! » Christophe Tripodi en reste estomaqué. À la tête de Cash Alimentaire du SudEst (deux magasins à Nice, dépôt à la Trinité), ce semi-grossiste a vu flamber l’addition dans l’agroalimentaire. La faute à de multiples facteurs, des aléas climatiques à la crise sanitaire.
« S’il n’y a pas assez de matière, d’autres pays surpayent les produits pour les avoir… et les prix explosent. » C’est le cas de l’huile de tournesol ou d’olive. Les dérivés des produits laitiers, eux, surfent sur l’appétit du marché chinois. Mais c’est un autre ingrédient essentiel, le plastique, qui est plus convoité que jamais. « Le coût d’un container est passé de 2000 euros à… 10 000. Bientôt, le transport coûte plus cher que la marchandise ! »
Le consommateur devra-t-il régler la note finale ? Christophe Tripodi le craint. Il doute de voir les prix publics redescendre aussi sec, s’en offusque : « Nous, quand ça baisse, on joue le jeu ! » La solution ? « Il faudrait tout remettre à plat. Obliger les industriels à vendre au marché national avant de vendre à d’autres États. »