DES DRONES EN MER P4
Pendant des mois, y compris pendant le premier confinement, des scientifiques ont étudié la bioacoustique des cétacés afin de mieux les protéger. Une mission soutenue par Monaco.
Avant et pendant le confinement du printemps dernier, des scientifiques ont longuement étudié les cétacés au coeur du sanctuaire Pélagos. Une mission, baptisée Sphyrna Odyssey et soutenue par les poids lourds monégasques de la protection environnementale, dont les résultats ont été dévoilés pendant la Monaco Ocean Week. On vous explique.
« Sphyrna Odyssey », c’est quoi ?
Lancée en septembre 2019 et pilotée par Hervé Glotin, professeur à l’Université de Toulon (CNRS LIS), la mission poétiquement baptisée Sphyrna Odyssey revêt un objectif précis : mieux connaître les cétacés en étudiant leur bioacoustique au coeur du sanctuaire Pélagos, Golfe du Lion et Majorque. Pendant des mois, deux drones maritimes sophistiqués (lire plus loin) ont écouté ces grands plongeurs dans leur habitat naturel, les grands canyons, à des profondeurs abyssales. En cernant leurs comportements acoustiques de meute et en évaluant les pollutions sonores, sources de nuisances pour ces cétacés, les scientifiques ont pour volonté de mieux les protéger. Et, notamment, de réduire les tragiques collisions avec les navires.
Les navires utilisés
De véritables laboratoires flottants. Les deux navires autonomes à la coupe futuriste et au moteur électrique ont été pensés et érigés par SeaProven. Nichés sous la coque, des hydrophones très sensibles ont été les « oreilles » des scientifiques. « Ils ont pu écouter les cétacés jusqu’à 2000 mètres de profondeur et dans un rayon de 6 kilomètres, décrit Antoine Thébaud, directeur général de la start-up mayennaise. Ces drones sont très stables et produisent peu de bruit ce qui ne perturbe pas les écoutes. »
Ni les animaux étudiés, d’ailleurs.
Le confinement : une opportunité en or
Une planète bloquée sur « pause », au profit d’une pandémie galopante. Et, de fait, une nature qui reprend ses droits. Jamais l’humanité industrialisée n’avait connu pareille situation. Le confinement du printemps dernier aurait pu mettre un terme brutal et définitif à Sphyrna Odyssey. Rien de tout cela. « Cet état de faible pollution acoustique – le vrai monde du silence, finalement – était une opportunité extraordinaire d’étudier le comportement de ces populations de mammifères marins avec des écoutes de très haute qualité, souligne Philippe Mondielli, directeur scientifique de la Fondation Prince Albert II, l’un des partenaires de la mission (1). Avec une dérogation des autorités marines en poche, une nouvelle phase de la mission originelle s’amorçait : Quiet Sea. Mer calme. Et les résultats s’avèrent probants.
Moins de décibels, moins de pollution «
Les enregistrements obtenus pendant ce confinement, de Banyuls à Monaco, sont uniques et retracent la carte postale acoustique du siècle dernier avant la grande industrialisation des côtes », témoigne Hervé Glotin. Premier enseignement : à moins de 5 km du littoral, les appareils ont capté une baisse du niveau acoustique d’une quinzaine de décibels due, surtout, à l’absence des plaisanciers et navettes. « On passe d’un monde à un autre. On est dans un silence très profond. C’est une pollution réversible », analyse-t-il. En revanche, à partir de 15 km, on retrouve le traditionnel brouhaha : « le trafic de marchandises et d’approvisionnements des grands ports a peu bougé. »
Enfin, les sondes chimiques ont prouvé une baisse de 50 % des polluants hydrocarbures solubles. À méditer.
D’autres conclusions pour la mission ?
Hervé Glotin résume : « Pour la première fois au monde, la mission a mesuré depuis la surface, et mis en évidence en 3D, une stratégie de chasse d’une meute de cachalots, ce que j’appelle un supersonar. Pour continuer à assurer leur alimentation, je pense qu’ils se communiquent, à au moins 500 mètres des uns des autres, des informations pour coordonner leur meute. Cette distance, il faut la préserver, car elle assure sans doute une dispersion optimale de la meute pour qu’elle capture suffisamment de proies. Tout cela demande un certain silence ambiant. Ils sont constamment sous les pressions conjointes des conditions océaniques et des bruits générés par l’humain. Observons les correctement pour comprendre ces contraintes, leurs comportements, et définir des systèmes d’anticollision. »