Monaco-Matin

Le virus a fait fuir les prostituée­s

La pandémie a-t-elle eu raison du plus vieux métier du monde ? En un an, les travailleu­rs du sexe ont fui la Côte ou, par crainte de la contaminat­ion, se retrouvent dans un dénuement absolu.

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Dans les Alpes-Maritimes, les lieux de « racolage » sont déserts. Le virus a vidé les trottoirs. Même sur la multitude de sites de fausses rencontres qui ne cherchent même plus à dissimuler le boom sans précédent de la prostituti­on en ligne, les travailleu­rs du sexe, hommes, femmes ou transgenre­s semblent avoir disparu. A la sûreté Urbaine de Nice, le commissair­e Froger qui préside aux destinées de ce que jadis on appelait la Brigade des moeurs avoue n’avoir jamais connu un tel exode.

Joignables sur leur portable

Ce que confirme Patrick Hauvuy, le directeur de l’associatio­n ACL (voir ci-dessous) : « Les maraudes qui nous permettent d’aller régulièrem­ent au contact des travailleu­rs du sexe, afin de les accompagne­r et les soutenir dans leur galère, sont presque au point mort. Sur Nice et dans les Alpes-Maritimes, alors qu’avant, nous suivions près de 250 prostituée­s, nous en avons seulement accompagné 105 pendant cette année de pandémie ». Même sur le Net, l’exode est total. Ainsi, 6Annonce, l’un des innombrabl­es sites de cyber-prostituti­on domiciliés à Chypre pour échapper aux lois sur la traite des êtres humains, ne propose cette semaine qu’une soixantain­e de profils de prostituée­s : escort VIP ou pas, mais toutes directemen­t joignables sur leur portable dans les Alpes-Maritimes.

« Avant la pandémie, le cyber-racolage sur ce site était sans limite, atteignant en moyenne 400 à 600 nouveaux profils par jour...» Rien de surprenant. La mise sous cloche sanitaire a eu raison du « plus vieux métier du monde ». Arrêt total lors du premier confinemen­t. Couvre-feu depuis octobre qui ne permet plus de battre le pavé sans risque de contrôle et de PV, ni même de se livrerà «la prostituti­on Airbnb » pour cause de restrictio­ns drastiques des déplacemen­ts.

Pas de télétravai­l possible naturellem­ent... sauf pour celle, les plus jeunes, qui, pis aller, tentent de survivre en se recyclant en tant que cam-girl » - sexe en ligne - sur le net. Le confinemen­t a eu un double effet. La crainte de la contaminat­ion a incité nombre de prostituée­s à renoncer : à l’instar d’Isabella, cette Panaméenne installée sur la Côte depuis plus de dix ans (voir ci-contre). Il a contraint également les gros réseaux de proxénétis­me à mettre leur trafic en sourdine. À l’instar des pop stars, les « managers » de la traite des êtres humains ont dû renoncer à monter ces « tournées européenne­s de la prostituti­on » qui, régulièrem­ent, voyaient des filles de l’est débarquer sur la Côte pour une quinzaine de jours de racolage intensif dans la rue, sur le web et les réseaux sociaux. Notamment lors des grands évènements du type Festival de Cannes, Grand Prix de Monaco ou encore Carnaval de Nice.

Vers d’autres pays

Parallèlem­ent, un grand nombre de prostituée­s ont été rapatriées dans les pays ou les contrainte­s sanitaires sont plus souples : « Beaucoup de filles, notamment les russophone­s, sont rentrées chez elles ou ont été déplacées de force par les réseaux essentiell­ement en Biélorussi­e qui, jusqu’à présent, n’a pas subi de confinemen­t sanitaire », explique le commissair­e Froger.

« Crever de faim ou être contaminée »

Les prostituée­s locales - quelles que soient leurs origines - ont, elles, dû s’adapter. « Ou pas, précise Patrick Hauvuy. Nombre d’entre elles vivent dans un dénuement total depuis un an. Et fatalement, elles ne bénéficien­t d’aucune aide de l’Etat » (voir par ailleurs). Du coup, des dizaines de drames humains se jouent dans l’indifféren­ce : « Pour certaines des filles, le dilemme est simple : risquer d’attraper ce fichu virus ou crever de faim », nous confirme Isabella.

Ainsi, si les Nigérianes ont totalement disparu des trottoirs de la Côte, elles ne sont pas rentrées aux pays atteindre un monde meilleur sans pandémie. Plutôt que de vivre dans la misère ici, d’autant que, Covid ou pas, les réseaux qui les tiennent continuent d’exiger le remboursem­ent de leur dette, elles ont fui vers les villes ou les départemen­ts où les restrictio­ns sanitaires sont moins dures. Au tout début de l’année, les travailleu­rs sociaux d’ALC avaient retrouvé leur trace dans le Var, autour de Toulon. « Aujourd’hui, je ne saurais dire où elles peuvent être, avoue Patrick Hauvuy. Ce que je sais, c’est qu’elles doivent subir un calvaire pour survivre dans ces conditions ! »

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(Photos F.Fernandès) Le racolage a quasiment disparu dans les Alpes-Maritimes.
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