Ce tableau a-t-il été peint par Raphaël ?
Une Azuréenne revendique l’authenticité d’une Madone aux oeillets dont elle a hérité. Pour la première fois, une expertise fouillée tend à accréditer cet incroyable scénario, armes scientifiques à l’appui. Débats en vue.
Les bordures sont altérées. Le teint a jauni sous la patine des siècles. Mais l’émotion est intacte. Et le potentiel artistique, vertigineux.
C’est une madone au regard doux, drapée d’une robe et d’un manteau inachevés. Elle partage des oeillets avec son enfant assis sur ses genoux. Le tableau est de taille modeste, 56,5 x 48,5 cm. Son auteur, lui, pourrait être l’un des grands de la Renaissance italienne. La Côte d’Azur aurait-elle abrité un tableau de Raphaël durant près d’un siècle ? Question osée. Elle mérite pourtant d’être posée. Parce qu’une Azuréenne, descendante d’un célèbre médecin féru d’art, revendique son authenticité. Mais surtout parce que, pour la première fois, une expertise ambitieuse vient étayer ses convictions.
« Une oeuvre majeure »
« C’est une oeuvre d’intérêt patrimonial majeur. Elle a sa place dans un grand musée. Ma profonde conviction, fondée sur l’imagerie et les analyses scientifiques, c’est qu’elle est bien de Raphaël. » Il a fallu neuf ans à Laure Chevalier pour lever ses derniers doutes. Cette historienne de l’art est spécialiste des méthodes d’expertise et de la traçabilité des oeuvres. Elle a étudié celle-ci sous toutes ses coutures. Et pourtant ! Quand une retraitée originaire de Cannes lui soumet cette madone en 2012, en lui expliquant que l’oeuvre dont elle a hérité pourrait être de Raphaël ou d’un de ses élèves, l’experte est plus que sceptique. « J’ai mis six mois à accepter. » L’oeuvre a déjà fait la Une des journaux en 1936, puis 1957. Elle a même séduit les critiques d’avant-guerre. Mais aucune recherche sérieuse n’a été menée à bien.
Enquête haletante
Laure Chevalier l’ignore encore, mais elle entame une enquête au long cours. Une série d’investigations haletantes où se croisent art, science et histoire. « J’ai approché l’oeuvre à la façon d’un conservateur de musée ou d’un chercheur du CNRS. » Avec sa société Agalmata, elle se plonge dans les archives familiales avant de jauger le potentiel du tableau. Un privilège : la « madone » est désormais en lieu sûr, ultra-sécurisé et tenu secret. L’enquête est fructueuse. Aucune piste n’est négligée. La virtuosité du peintre, l’analyse des pigments, la biographie de Raphaël, les écrits du XVIe siècle... Laure Chevalier tisse un faisceau d’indices concordants (cf ci-dessous). Elle fait appel à la science. Réflectographie infrarouge, fluorescence X... L’experte utilise les armes technologiques dernier cri, épaulée par Philippe Walter, directeur d’un laboratoire de recherche qui collabore avec la Nasa.
Une oeuvre, deux versions ?
Problème : le monde connaît déjà une Madone aux oeillets de Raphaël. La célèbre Madonna of the pinks trône à la National Gallery de Londres. La respectable institution britannique l’a acquise en 2004, pour la coquette somme de 32,5 millions d’euros. Certains doutent encore de son authenticité. Laure Chevalier ne s’y risque pas. D’autant que ses recherches l’ont convaincue que le maître d’Urbino a peint deux versions de sa Madonna dei garofani.
À ses yeux, seules deux hypothèses subsistent pour la Madone aux oeillets « azuréenne ». « Soit il s’agit de l’original disparu. Soit d’une variation autographe [une seconde version, ndlr], terminée par Ridolfo del Ghirlandaio. » Consultés sur la base d’une photo, certains experts excluent d’emblée que ce tableau puisse être du maître florentin. S’il venait à lui être attribué, ce serait une bombe dans le monde de l’art. Et pour son marché, qui vient d’assister à la vente à rebondissements d’un Van Gogh pour treize millions d’euros. Ce serait aussi un hommage inattendu à Raphaël, dont on a célébré en 2020 les 500 ans de la mort.