Monaco-Matin

En plein Vence

Le modernisme de Raoul Dufy explose dans ce tableau, datant de 1919, conservé au Musée Jules-Chéret à Nice.

- ANDRÉ PEYREGNE magazine@nicematin.fr

Ce tableau, c’est le jour et la nuit. À gauche la nuit, à droite le jour. Night and day… Le défi de Dufy : représente­r les deux sur un même tableau ! Qu’est-il passé dans la tête du peintre Raoul Dufy ? On ne sait. Il ne l’a dit à personne. Ce qui est sûr, c’est que c’est bien la cité de Vence qui est représenté­e dans ce tableau conservé au Musée des Beaux-Arts Jules-Chéret à Nice. On reconnaît la silhouette de la ville, avec sa ceinture de muraille et la tour carrée de sa cathédrale. Modeste, la tour de la cathédrale ! Cette église a pourtant accueilli tant de gloires religieuse­s depuis sa création : l’évêque Alexandre Farnèse devenu pape, plus tard, sous le nom de Paul III, les évêques Antoine Godeau et Jean-Baptiste Surian, tous deux membres de l’Académie française, et pas moins de trois saints, Prosper, Véran et Lambert ! Quelle cathédrale peut en dire autant ? Mais le bâtiment demeure humble, on le voit ici.

Une épouse niçoise

Lorsqu’il peint ce tableau, l’artiste séjourne, pour la première fois, sur la Côte d’Azur. Il est cependant déjà venu dans le Sud : à Martigues

en 1903 et 1906 et en 1913 à Hyères. En 1911, il a épousé une Niçoise, Eugénie-Émilienne Brisson.

En 1919, Vence lui ouvre les bras – comme elle le fera, plus tard, avec d’autres peintres : Matisse, en 1943, qui peindra la chapelle du Rosaire, Chagall qui, en 1949, vivra avec ses chats dans une maison près de la chapelle Matisse, Dubuffet qui s’installera en 1955 dans sa maison le Vortex.

Les leçons du fauvisme

En 1919, on sort à peine du cauchemar de la Grande Guerre – dans laquelle Dufy s’était engagé dans le service automobile de l’armée. Il installe son atelier à Vence.

Il peindra des brassées de tableaux de cette cité. Rien n’a échappé à sa frénésie : Vence et ses murs, Vence et sa fontaine, les collines de Vence, la campagne de Vence. Dufy en plein Vence, Dufy contre Vence et marées... « En 1919, à l’époque où il peint ce tableau, Dufy s’est affranchi de sa période cubiste et fauve mais en a conservé certaines leçons, commente Johanne Lindskog, conservatr­ice du Musée des Beaux-Arts Jules-Chéret. Dufy trouve sa manière propre. Son dessin est plus rapide, plus exalté. Les couleurs s’affranchis­sent des formes, entraînant notre regard dans leur mouvement. »

Nice, ville d’élection

Dufy quittera ensuite Vence. Il fréquenter­a à nouveau notre région pendant la Seconde Guerre mondiale, séjournera à l’Hôtel Gray d’Albion à Cannes, dont il fera un tableau (lire le Nice-Matin du 27 septembre). Il s’installera une nouvelle fois sur la Côte d’Azur à la fin de la guerre. Nice deviendra sa ville d’élection au point d’y être enterré, dans le jardin du monastère de Cimiez, non loin de Matisse.

C’est là que, pour lui, se déroule désormais l’enchaîneme­nt éternel du jour et de la nuit – jour et nuit qu’il avait si curieuseme­nt unis en 1919 dans son tableau de Vence...

‘‘ Vence ouvre les bras à Dufy, comme elle le fera pour Matisse, Chagall, Dubuffet”

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(Photo Muriel Anssens / Ville de Nice) Vence, par Raoul Dufy (-), huile sur toile.
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