Monaco-Matin

Beretta raccroche le casque

Pilote de Formule 1 éphémère devenu un « pilier » des courses d’endurance, Olivier Beretta le Monégasque vient de raccrocher le casque au virage de la cinquantai­ne après avoir vécu sa passion à fond durant plus de trois décennies

- Propos recueillis par Gil LÉON

Son absence sur la grille de départ des  Heures du Mans nous avait mis la puce à l’oreille, le mois dernier. Stop ou encore ? La confirmati­on est finalement tombée sous la forme d’une story Instagram taille XXL compilant photos et vidéos souvenirs de sa trajectoir­e aussi longue que fructueuse. «Eh oui, c’est fini ! » Sitôt franchi le cap de la cinquantai­ne rugissante, Olivier Beretta s’est ainsi rangé des voitures de course. Sans le crier sur les toits. Une discrète sortie de piste que l’on ne pouvait pas passer sous silence. Car le Monégasque, après une apparition furtive en Formule , à mi-chemin entre Louis Chiron et Charles Leclerc, a hissé haut les couleurs de sa chère Principaut­é dans le temple sarthois de l’endurance comme outre-Atlantique, à Daytona et Sebring, entre autres. Rencontre en marche arrière...

Le  février, au départ des  Heures d’Austin, la manche texane du championna­t du monde d’endurance qui demeurera votre ultime course, la décision d’arrêter la compétitio­n en  est-elle prise ?

Non, mais cette idée mûrit alors dans mon esprit depuis un certain temps. Depuis l’arrivée des  Heures du Mans , en fait. J’y réfléchiss­ais très sérieuseme­nt. Et j’y ai pensé encore plus ensuite, durant le long tunnel du confinemen­t. Jusqu’à trancher et mettre la flèche.

Pourquoi maintenant ?

Parce que j’ai fait le tour de la question. Durant une vingtaine d’années, j’ai eu la chance de représente­r

différents constructe­urs. Je partageais le volant avec des coéquipier­s pros. On développai­t la voiture, on décrochait des victoires, des titres. Bifurquer vers la catégorie Pro-Am il y a trois ans, c’était un plan de fin de carrière. Mais ce n’était plus le même métier.

Et le plaisir allait decrescend­o, voilà.

A  ans, l’âge a-t-il pesé dans la balance ?

Toucher du doigt le cap du demi-siècle, ça fait cogiter, oui. En jetant un oeil dans le rétro, je me suis aperçu que j’avais parcouru un bon bout de chemin. J’ai goûté à la F et puis j’ai tracé mon sillon en endurance. Je ne me suis jamais fait mal.

Maintenant, la motivation s’effiloche. Le Pro-Am, vous savez, c’est surtout de l’adaptation. Pas de la performanc­e pure. Physiqueme­nt, on ne s’entraîne plus à bloc comme avant. On n’a plus les dents qui rayent le parquet. Je voulais avoir du temps libre, faire autre chose. Donc il fallait tourner la page.

Aucun regret en voyant les  Heures du Mans s’élancer sans vous le  septembre dernier ?

Aucun. D’autant plus que j’ai zappé le départ... et presque toute la course. J’ai juste allumé la télé pour voir les résultats des Ferrari des copains à l’arrivée. Pas de regret, pas de manque.

Avec  participat­ions, vous finissez donc à  longueurs du recordman Henri Pescarolo ()...

Peu importe. Les records, les compteurs, sincèremen­t, je m’en tape. En sport auto, je n’avais que deux objectifs : vivre de ma passion et faire gagner les constructe­urs dont je portais les couleurs. Deux cibles atteintes.

Votre premier contact avec le sport auto, naturellem­ent, c’est le Grand Prix de Monaco ?

Difficile de passer à côté quand on grandit dans un appartemen­t surplomban­t le virage de Sainte-Dévote. Je me souviens d’avoir vu débouler la Tyrrell à six roues. Les Depailler, Scheckter, Peterson, Lauda, Hunt, Pironi, Arnoux, Prost... C’était beaucoup mieux que l’école. C’était une autre époque, une autre F, plus risquée, moins robotisée, moins

politisée.

Vous démarrez en karting àquelâge?

Je devais avoir  ans. Mon père courait en kart à haut niveau. Donc je voulais suivre ses traces.

L’étincelle s’est produite dès mes premiers tours de roue. Tout de suite, j’ai voulu disputer une course. Alors direction Golfe Juan. Après, pas question de faire marche arrière.

Vous rêvez de F, déjà ?

Oui, mais c’est un rêve caché. Au début, je voulais surtout fuir cette école où j’allais en traînant les pieds comme avec des chaussures de ski.

Je ne pouvais pas envisager un instant ma vie dans un bureau. Mon métier, il devait être lié au sport auto.

En , le podium au Grand Prix de Monaco F constitue-t-il le premier temps fort de votre carrière ?

Oui, ça reste un super souvenir. Même si je visais la victoire en partant en première ligne. On avait misé sur une piste sèche et ce fut le déluge. Mauvaise pioche ! Malgré des réglages pas vraiment adéquats, je finis sur la ‘‘boîte’’ (e, ndlr) àla maison.

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Mon métier, il devait être lié au sport auto ”

Quatre ans plus tard, après le passage en F ponctué d’une victoire, vous cochez la case F, mais l’aventure ne dure pas longtemps. Seulement dix Grands Prix enchaînés en moins de cinq mois : il a manqué quoi pour aller plus loin, plus haut ?

Déjà, il faut dire qu’il y avait très peu de volants à saisir pour les jeunes pilotes à l’époque : une opportunit­é ou deux chaque année grand maximum ! Difficile de se faire une petite place entre les Senna, Schumacher, Berger, Alesi, Barrichell­o, Blundell, Brundle, Herbert et compagnie... Initialeme­nt, moi, je devais débuter chez Tyrrell. Fausse piste, mais la porte finit tout de même par s’ouvrir chez Larrousse, où on va devoir composer avec les moyens du bord. Il n’y avait déjà pas assez d’argent pour exploiter correcteme­nt une voiture. Alors la deuxième, vous imaginez... Humainemen­t, la relation de travail était bonne avec toute l’équipe, avec Gérard Larrousse.

Il manquait juste le nerf de la guerre, quoi ! Pour ne pas sombrer en cours de saison, ils m’ont remplacé par un pilote porteur d’un complément de budget. Un va-tout insuffisan­t puisque l’écurie ne redémarrer­a pas en . De mon côté, j’aurais pu tenter de rebondir chez Arrows. Mais réflexion faite, mieux valait changer de cap plutôt que de revivre la même galère.

Expérience éphémère, donc. Qu’en retenezvou­s ?

Entre deux pannes, on a réussi à sauver les meubles ici et là. Quand l’auto tient la distance, je finis e à Monaco, e à Hockenheim, e à Budapest.

A ce moment-là, il fallait s’inviter dans le top  pour grappiller au moins un point. J’avais cette cible dans le viseur lors de la e course, au Japon (le GP du Pacifique, à Aïda). Hélas, mes espoirs de e place se sont envolés. Alternateu­r en rade.

Le circuit d’Imola accueille à nouveau la F cette semaine. Quel souvenir gardez-vous de ce Grand Prix de Saint-Marin  de sinistre mémoire ?

Un souvenir atroce. Là-bas, on a vécu un week-end apocalypti­que. Il n’y a pas de mot assez fort. Ratzenberg­er puis Senna : deux accidents mortels en deux jours. Sans oublier le crash effroyable de Barrichell­o, le vendredi.

Je suis sorti au même endroit juste après lui. Un choc violent. J’avais ensuite passé deux nuits blanches, avec de violents maux de têtes cachés à l’équipe afin de ne pas risquer le feu rouge médical. Nouvelle frayeur le dimanche, au départ, où j’évite de justesse la Lotus de Pedro (Lamy) après son accrochage avec Lehto. Bref...

Finalement, la meilleure F que vous avez cravachée, c’est une Williams, non ?

En effet, la FW  de  propulsée par un moteur

BMW V. Je l’ai souvent pilotée pour développer les pneus Michelin. De vraies gommes de guerre. C’était la période du duel féroce contre Bridgeston­e. Budget illimité, monoplace fabuleuse, expérience inoubliabl­e...

Votre trajectoir­e en endurance ?

J’ai découvert un autre monde. Vu de loin, les gens pensent qu’il s’agit de courses de pépères. Mais quelle que soit la distance,  kilomètres,  ou  heures, on dispute de vrais sprints où chaque détail compte, où une petite poignée de secondes perdue lors d’un ravitaille­ment peut vous coûter la victoire. A l’époque de la Viper, et même de la Corvette, ça chauffait très fort dans l’habitacle. On poussait le physique à bout.

J’ai également adoré cette

discipline parce qu’elle met en avant l’esprit d’équipe. Vous savez, ce n’est jamais un équipage de deux ou trois pilotes qui gagne. Ce sont  ou  personnes.

Justement, peut-on dire que l’écurie varoise Oreca fut pour vous une seconde famille ?

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A Imola, on a vécu un week-end apocalypti­que ”

Nos chemins auraient pu se croiser plus tôt, en F ou en F. Projets non aboutis pour différente­s raisons. Après la F, j’ai appelé Hugues de Chaunac pour lui dire : « Je suis à pied, disponible. On pourrait enfin faire quelque chose ensemble, hein ? » Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était au moment où le projet Viper démarrait sur une feuille blanche. Le point de départ d’une histoire extraordin­aire. Hugues, il restera à vie dans mon coeur et dans ma tête. Pas seulement parce qu’il a lancé ma carrière. Parce que c’est un personnage à part, un patron passionné pur et dur qui a fait d’Oreca une référence dans le monde de l’endurance.

Le secret de votre longévité, en deux ou trois mots ?

Travail, déterminat­ion, honnêteté. Et j’en ajoute un quatrième : la réussite. Indispensa­ble.

Et maintenant ? Le reste de votre vie, hors piste, comment l’envisagezv­ous ?

En premier lieu, même sans course à l’horizon, je reste un pilote Ferrari pour le développem­ent de leurs voitures extrêmes

(XX Programme) et l’encadremen­t des activités « Corse Clienti ». L’occasion de dégourdir les semelles assez souvent à bord de Formule  ex-Villeneuve, Prost, Mansell, Schumacher, Alonso, Massa et Räikkönen des années ,  et . Sacrées piqûres de rappel ! Ensuite, je veux profiter pleinement de la vie en famille. Bateau, moto, karting... Et puis il y a des projets à l’étude. Des idées qui débouchero­nt peut-être tôt ou tard sur un come-back dans les paddocks avec une autre casquette.

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(Photo Jean-François Ottonello)  : dix Grands Prix chez Larrousse, une tranche de vie en F trop mince... (Photos Bernard Asset)
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GP de Monaco  : retour aux sources sur la terrasse de sa grandmère, Antoinette. (Photo doc. NM)
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