Monaco-Matin

La semaine de Claude Weill

- Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Lundi

Ils sont partout – sauf dans leurs labos. Déroulant d’un studio à l’autre l’argumentai­re « rassuriste » : l’épidémie est terminée, on affole les Français pour rien, ou plutôt si, pour leur faire accepter des mesures inutiles et liberticid­es.

Les médias adorent : ça fait tourner le moulin à polémiques. Abondammen­t relayé par les réseaux sociaux, parfois épicé d’une bonne dose de complotism­e, ce discours commence à infuser dans l’opinion. Au grand dépit des soignants de terrain, médecins et infirmière­s qui, jour après jour, voient affluer les malades, et enragent.

Le paradoxe est que si les mesures, en effet sévères, imposées par les autorités marchent, la reprise va forcément se tasser. Et les rassuriste­s pourront dire : « Voyez, on avait raison. Il n’y a pas eu de deuxième vague ! »

Mardi

Avec Trump, on est dans le film. Toujours. Un sitcom à faire pâlir les scénariste­s de West Wing. Trois jours après son hospitalis­ation en urgence, le voilà de retour à la Maison-Blanche, essoufflé mais d’attaque. Inespéré pour un sujet à haut risque : homme,  ans, en surpoids, traité pour cholestéro­l. Il a reçu un traitement de choc : pas moins de neuf médicament­s, dont un cocktail d’anticorps de la marque Regeneron (le boss est un de ses compagnons de golf), pas encore homologué par l’agence US du médicament. Prendre le président des Etats-Unis pour cobaye, c’était un sacré pari. Peut-être le bon.

Deux jours plus tard, voilà le président qui se lance dans la promo de son traitement. Le Trump qu’on connaît : celui qui vendrait de la neige au pôle Nord. Il promet de débloquer fissa les autorisati­ons afin que tout un chacun puisse bénéficier – gratuiteme­nt ! – du même traitement que le président des Etats-Unis. Les labos, dit-il, sont prêts, l’armée procédera à la distributi­on. « Très vite, vous irez mieux. Comme moi ! »

Les médecins se grattent le menton.

Dans cette crise, Trump a dit tant

de sottises et de mensonges. Si cette fois, il était dans le vrai ? Après tout, les montres arrêtées donnent l’heure juste deux fois par jour.

Mercredi

Mon ami le violoncell­iste Henri Demarquett­e téléphone de Taipeh. Il a le temps… Invité à Taiwan pour une série de concerts, il est confiné dans sa chambre d’hôtel pour  jours. Défense de sortir. Pas même pour aller dans le hall ou au bar. Trois fois par jour, on dépose un plateau-repas devant sa porte. Il a dû changer la puce de son téléphone pour prendre un numéro local, afin d’être toujours joignable. Chaque matin, un policier et un officier de santé appellent pour s’enquérir de sa santé. Faut-il préciser qu’il va très bien et qu’il a présenté à sa descente d’avion un test PCR négatif…

On admire les performanc­es de certains pays asiatiques dans la lutte contre la pandémie. Comment de telles mesures de coercition seraient-elles vécues en France ?

Jeudi

Visite à la fondation Louis-Vuitton de l’expo photo Cindy Sherman. Prodigieus­e inventivit­é d’une oeuvre consacrée,  ans durant, à un seul et unique sujet : l’auteur ellemême. Maquillée, grimée, perruquée, déguisée, défigurée, habillée, drapée, dénudée, masquée, dans une fuite – ou une quête – perpétuell­e où le sujet s’affiche pour se dérober. Où est la vérité, où la fiction ? Sommes-nous ce que nous montrons où ce que nous cachons ? Les visiteurs, portant un masque qui ne laisse apparaître que les yeux, semblent faire partie d’un dispositif conçu par l’artiste. Vertige.

Vendredi

« J’aurais préféré un autre innocent… » La phrase – attribuée à un militant dreyfusard – revient en mémoire en écoutant cette vieille dame repliée sur ses certitudes, si indulgente pour ses geôliers, si pressée de retourner à Gao, bref si éloignée de l’image que nous nous faisons d’une personne qui vient de passer quatre ans entre les mains d’un groupe de djihadiste­s affilié à Al Qaïda.

Sophie Pétronin - non, « Maryam », corrige-t-elle en tirant sur son voile de pieuse musulmane – ne parle pas de « djihadiste­s » mais de « groupes d’opposition armée au régime » ; elle n’a ni rancune, ni colère ; aucun reproche à faire sur les conditions de son « séjour ». La France en fut toute décontenan­cée, et Emmanuel Macron le premier, qui renonça à l’allocution de bienvenue prévue. Difficile dans ce contexte de célébrer notre engagement militaire au Sahel. A ceux qui s’offusquent et voient dans cette libération un marché de dupe où la France se serait fait rouler, libérant  terroriste­s en échange d’un « agent émerveillé de la propagande islamiste » (Gilbert Collard), on fera observer que :

• La religion de Mme Pétronin ne justifie pas que l’on se désintéres­se de son sort.

• La France n’a libéré personne. Le deal est une affaire malo-malienne. Le fruit d’une négociatio­n entre la mouvance Al-Qaïda et le nouveau gouverneme­nt de Bamako. Ce n’était pas Sophie-Maryam Pétronin qui était au centre des discussion­s, mais l’opposant Soumaïla Cissé, figure politique importante. Elle a en quelque sorte été libérée en prime : dans le « grand jeu » sahélien, la vieille dame ne pesait guère.

« Il a reçu un traitement de choc : pas moins de neuf médicament­s, dont un cocktail d’anticorps. Prendre le président des Etats-Unis pour cobaye, c’était un sacré pari. Peut-être le bon. »

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