LA MAFIA ÉPINGLÉE
Dix-neuf interpellations sur la Côte d’Azur Collaboration inédite avec les «carabinieri»
Opération « Ponente-Forever ». C’est l’un de ces noms de code dont la gendarmerie a le secret. Pour cette opération d’envergure, pas moins de 450 militaires ont été mobilisés avant-hier [lire nos éditions d’hier] dans les Alpes-Maritimes, dans le Var, en région parisienne et, dans une moindre mesure, dans l’ouest de la France.
Le top a été donné à 6 heures. Le GIGN s’est vu attribuer les cibles réputées dangereuses. Au même instant, 120 carabiniers italiens lançaient leurs filets du côté d’Imperia et de San Remo, sur la côte ligure. Quarante-cinq suspects ont été interpellés des deux côtés de la frontière. L’affaire porte sur un trafic de stupéfiants entre la France et l’Italie.
À l’origine de cette opération hors normes ? Une enquête « classique », dans le Var, après l’interception douanière, en 2018, d’un convoyeur transportant 20 kg de résine de cannabis. « Il faut rendre hommage à la brigade de recherches de Draguignan qui a tiré le fil jusqu’à dessiner les contours d’un réseau d’ampleur », insiste le colonel Dominique Lambert, à la tête de la section de recherche (SR) de Marseille qui a repris le dossier.
Un commanditaire azuréen
Les enquêteurs varois ont d’abord identifié un commanditaire présumé. « Le trafic devait alimenter le Var et les Alpes-Maritimes », confie une source proche de l’affaire. Mais aussi l’Italie. « Les investigations ont permis d’établir un lien avec des membres de la’Ndrangheta [la mafia calabraise, ndlr] », explique Dominique Laurens, procureure de la République à Marseille.
Le dossier a dès lors quitté le tribunal de Draguignan pour le cabinet d’un juge d’instruction de la puissante juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) dans le cheflieu de la région. En avril 2019, une cellule d’investigations – « Forever » – a été constituée avec sept enquêteurs de la SR de Marseille, des Alpes-Maritimes et du Var.
Une enquête « offensive »
Le commanditaire azuréen est soupçonné d’avoir fourni en cocaïne des membres de la mafia mais aussi un certain nombre de trafiquants albanais. « Des profils habitués à se maintenir sous les radars et à prendre des contre-mesures », témoigne le colonel Lambert, sans s’étendre sur les « techniques d’enquête très offensives et poussées » développées par la gendarmerie.
L’affaire a rebondi encore quand les gendarmes français et leurs homologues italiens se sont aperçus qu’ils s’intéressaient aux mêmes personnes dans des procédures distinctes. « On a eu la grande chance d’entrer en contact avec les “ROS” [raggruppamento operativo speciale, une unité des carabinieri spécialisée dans la lutte contre la grande criminalité] ». Eux travaillaient sur un dossier baptisé « Ponente ».
Une « équipe commune d’enquête » a alors été mise sur pied. Deux gendarmes français ont rejoint les carabinieri, trois enquêteurs italiens ont pris le chemin inverse. « En dix-huit mois, cette opération nous a permis de mettre en lumière une activité criminelle en Ligurie mais aussi sur la Côte d’Azur en France, ainsi que les liens entre la mafia et des réseaux criminels français », se félicite le procureur de
Gênes, Francesco Cozzi. Les autorités n’ont pas lésiné sur les moyens – aidées en cela par des fonds européens – pour identifier « des groupements » basés dans le Sud-Est et, pour l’approvisionnement, dans la région parisienne. Le groupe interministériel de recherches de Créteil (Val-de-Marne) s’est chargé de scruter la surface financière des suspects. « Ces individus jouissent d’un train de vie en disproportion par rapport à leurs ressources qui avoisinent zéro pour l’un d’entre eux », glisse la procureure de Marseille.
Des centaines de milliers d’euros saisis
Quelque 700 000 euros en numéraires et 120 000 euros placés sur des comptes bancaires ont été saisis. Trente montres de luxe, six voitures haut de gamme, des armes (notamment un pistolet-mitrailleur), des balises GPS, des brouilleurs et un kilo de cocaïne complètent le bilan provisoire de la justice. Le « principal suspect », celui qui aurait fourni en drogue la’Ndrangheta, faisait partie des cibles de l’opération « Ponente-Forever ». Il a été placé en garde à vue comme les dix-huit autres individus appréhendés dans les Alpes-Maritimes, « notamment à Vallauris ». Parmi eux figure un membre de la sulfureuse famille Magnoli [lire cicontre], a-t-on appris, hier, à la suite d’une indiscrétion du parquet de Gênes. S’ajoutent six personnes interpellées dans le Var à Hyères, Cabasse, Le Luc et Saint-Maximin. Deux d’entre elles étaient armées.