« Il nous faut une vraie révolution, à la française »
Josyane Boulos, artiste libanaise touche-à-tout qui a permis aux Ballets de Monte-Carlo de se produire à Beyrouth, ne se départit pas de sa colère, après l’explosion qui a ravagé la ville
Au Liban, la presse la définit comme une artiste touche-à-tout et boute-en-train. Auteur, producteur, metteur en scène, actrice de théâtre… celle qui ne se départit habituellement jamais de son sourire, a le visage fermé et les mâchoires serrées depuis deux jours. Au moment de l’explosion, Josyane Boulos randonnait dans la montagne avec sa soeur. « Quand je suis rentrée, que j’ai traversé les ruines, j’ai eu l’impression d’avoir de nouveau 17 ans, et d’être en guerre. » Alors, quand on lui demande comment ça va, avec un grand calme et de sa voix chaleureuse, elle répond, implacable : « Je suis en colère et je compte le rester. Je ne veux plus parler de résilience. Je suis fatiguée de m’adapter à ce qui nous arrive. C’est terminé. Je veux que ceux qui sont coupables soient châtiés. »
Négligence et incompétence
Si la thèse de l’accident prévaut à l’heure où nous l’interrogeons, elle insiste : « C’est un accident, mais qui est dû à la négligence et à l’incompétence de tous ceux qui nous ont gouvernés. Ce dépôt de nitrate d’ammonium est là depuis des années, sans aucune mesure de sécurité. Ceux qui ont permis ça doivent être punis. » Elle poursuit : « Dans tout le pays, les murs ont grondé. Les vitres sont cassées partout. En une minute, ils ont détruit la ville comme quinze ans de guerre. » Elle raconte sa ville. Ses compatriotes, ses amis. La colère. Et la solidarité : «On aide les 4 000 blessés, et ceux qui ne le peuvent pas cuisinent pour nourrir les secouristes. »
Cette tragédie s’inscrit dans une continuité de problèmes qu’elle égraine : « Cela vient s’ajouter à une crise économique sans précédent, des gouvernements corrompus… Les cerveaux s’en vont. Les jeunes quittent le pays. »
« Il ne faut plus être résilient »
Ce qui la blesse probablement le plus, c’est ce qu’elle considère comme l’origine du problème. « L’ennemi est dans nos rangs. C’est nous qui avons voté pour ces gens. » Aujourd’hui, si vous souhaitez « bon courage » à Josyane Boulos, elle vous répondra : « Ce qu’il faut me souhaiter, c’est de la colère. Si cette colère s’en va, c’en est fini. Il ne faut plus être résilient, il faut descendre dans la rue. Il faut une vraie révolution, comme en France en 1789. Aujourd’hui, je cuisine pour les secouristes, demain nous enterrons nos morts, et après-demain je descends dans la rue. Je ne peux pas accepter que nos enfants vivent ce que l’on a vécu pendant la guerre. »