Monaco-Matin

« Les éliminer serait une catastroph­e écologique »

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Les méduses ? Beurk, mais pas pour tout le monde. Lucas Leclère, chercheur au CNRS, s’en est fait une spécialité. Au laboratoir­e de biologie du développem­ent de Villefranc­hesur-Mer, il les observe, les étudie et les suit. Passion piquante, ou urticante, dans les filaments de laquelle il nous entraîne, le temps d’un portrait de la pelagia noctiluca, aïe ! cette ennemie qu’il chérit.

Une méduse, qu’est-ce que c’est ?

La méduse appartient au groupe des cnidaires. Des organismes urticants où l’on retrouve aussi les coraux et l’anémone de mer. Ce groupe, qui comprend environ   espèces, est apparu il y a  millions d’années.

Celle qui nous pique étant la pelagia noctiluca ?

Oui, quasiment uniquement celle que l’on voit sur nos côtes. On peut la trouver dans de nombreux océans, avec une grande population en Méditerran­ée, principale­ment occidental­e. En fait, quand on la voit ici, elle ne fait que passer. Au large de Nice avant d’aller jusqu’en Catalogne et aux Baléares avant de revenir par la Corse et le golfe de Gênes. Une sorte de tour permanent, au gré d’un courant qui la maintient dans cette boucle.

Cette méduse « n’habite » donc pas ici ?

Non, elle se laisse porter par les courants en se nourrissan­t d’un peu de tout. Depuis la larve de poisson jusqu’aux crustacés vivant dans ce qu’on appelle le plancton. En somme, elle mange ce plancton, dont elle fait d’ailleurs partie, c’est-à-dire tous les organismes nageant dans la « colonne d’eau », entre la surface et deux à trois cents mètres de profondeur.

On la voit petite, peut-elle être grosse ?

À la naissance, ces méduses font de  à  mm. Ensuite, elles peuvent aller jusqu’à  cm pour les plus grosses. La moyenne étant de  à  cm. Je parle du diamètre de l’ombrelle. Autrement dit, de la cloche. Les filaments, eux, peuvent atteindre plusieurs mètres.

Filaments redoutable­s…

Si l’on touche le dessus de la cloche, on n’a aucune réaction urticante. Quand une méduse « pique », c’est principale­ment pour attraper une proie, la ramener à sa bouche et la digérer. Chez tous les cnidaires, la technique de chasse consiste à attendre qu’une proie touche les tentacules. Dans ce cas, un processus complexe et extrêmemen­t rapide se met en route et des cellules qu’on appelle cnidocytes, spécialisé­es dans la production d’une petite capsule urticante, s’activent. Sous pression, elles explosent, d’une certaine façon, en projetant un filament dans la proie. Ce filament va permettre d’inoculer du venin pour la paralyser. Le problème, avec la pelagia, c’est qu’elle est capable de capturer une grande variété d’organismes, dont de très petits poissons, et que, pour paralyser ces poissons, elle utilise des toxines qui réagissent aussi chez nous.

Ce n’est pas le cas de toutes les méduses ?

Non, la nôtre mange de tout, d’ailleurs, au laboratoir­e, elle réduit en taille si son régime alimentair­e n’est pas suffisamme­nt varié. Elle peut détecter que le baigneur est

« comestible », puisque la décharge n’est pas automatiqu­e lorsque des tentacules se touchent ou entrent en contact avec la paroi d’un aquarium. Il y a donc une sorte de reconnaiss­ance de ce qui peut être une proie et de ce qui ne l’est pas. Des recherches ont été entreprise­s pour mettre au point des crèmes empêchant le déclenchem­ent des cellules urticantes. Notamment des crèmes solaires développée­s par des Israéliens, et qui fonctionne­nt plutôt bien.

Pourquoi, sur notre peau, une brûlure aussi vive ?

C’est le résultat d’un cocktail de toxines pouvant générer de la douleur et, chez certaines autres espèces, de la paralysie. Par exemple, sur la côte est de l’Australie, la « box jellyfish », ou méduseboît­e, mange des poissons assez gros et se révèle capable de tuer un baigneur, rapidement. Notre pelagia ne le peut pas : avec elle, le problème le plus important, c’est une éventuelle réaction anaphylact­ique. Une réaction violente du système immunitair­e.

Rien de dangereux ?

Hormis ce risque de réaction, il peut rester une cicatrice durant une période assez longue si la peau est sensible et si la piqûre s’est produite sur une partie où elle est particuliè­rement délicate.

Un traitement efficace ?

Des pommades fonctionne­nt bien, contrairem­ent à l’urine, qui relève plutôt de la légende. Une recommanda­tion utile : ne pas nettoyer la peau à l’eau douce, ce qui aurait pour effet d’activer les capsules qui n’auraient pas encore « explosé ». Donc, laver à l’eau de mer. En essayant de retirer les tentacules qui pourraient rester accrochés et décharger d’autres substances. Ce qui ne marche pas si mal, c’est la mousse à raser, qui empêche le contact, une carte de crédit permettant de retirer les filaments relativeme­nt facilement. Enfin, sur la brûlure, la biafine est intéressan­te.

Comment détecter la présence et la circulatio­n des méduses ?

Au large de Nice, encore une fois, ces méduses passent en permanence dans le courant ligure et il est possible d’en trouver à tout moment de l’année. Ce qui est clair, c’est que l’on voit une augmentati­on de la population au printemps, où la nourriture est plus abondante. Cette population décroît au fil de l’été. Quant à la présence ou non sur le littoral, elle est principale­ment due au courant et au vent. Si celuici souffle vers le sud/sudest, il pousse les méduses vers la côte. La courantolo­gie et le régime des vents sont donc deux paramètres précieux pour anticiper les mouvements.

Barrages et filets sont-ils efficaces ? Ou faut-il éradiquer les méduses ?

Les filets, pourquoi pas ? Mais la logistique est assez lourde. Éliminer les méduses, non, ce serait une catastroph­e écologique. Elles ont un rôle important dans la chaîne alimentair­e. D’abord, elles régulent le plancton. Ensuite, de nombreux poissons s’en nourrissen­t. Et, si elles sont presque les seules sur nos côtes, ce ne sont pas les seules méduses de Méditerran­ée. Donc, s’en débarrasse­r, je n’ai pas ce point de vue, même si c’est embêtant pour le baigneur. Le préjudice, sur le plan touristiqu­e, est indéniable, mais la pelagia noctiluca a vraiment un rôle à jouer.

 ?? (Photo Alexandre Jan) ?? La pelagia noctiluca, qui pullule actuelleme­nt et s’éloignera au fil de l’été.
(Photo Alexandre Jan) La pelagia noctiluca, qui pullule actuelleme­nt et s’éloignera au fil de l’été.
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