« Nous sortirons de cette crise par les tests et les masques »
Jean Leonetti, le maire d’Antibes par ailleurs cardiologue, regrette la stratégie jusqu’ici « par défaut » de la France face à la pandémie. Et il se montre mesuré sur la chloroquine
Maire d’Antibes, aisément réélu dès le premier tour le 15 mars, ancien président par intérim des Républicains, auteur de la loi sur la fin de vie, Jean Leonetti est aussi cardiologue. Il pose son double regard sur la crise.
Paie-t-on une forme de suffisance face à l’épidémie, des pouvoirs publics comme de la population ?
Très certainement. Dans tous les pays, à des degrés divers, il y a eu d’abord une négation du malheur inéluctable, caricaturale chez Johnson ou Trump, mais qui a existé aussi en France, où l’on a voulu continuer à sortir et à organiser les élections. A suivi une phase d’acceptation puis de résignation, avec la capacité à surmonter l’obstacle et à se régénérer, comme dans les périodes du deuil. Nous avons cru un peu vite que les puissances occidentales seraient préservées d’un mal « réservé » aux pays pauvres ou asiatiques, d’ailleurs mieux préparés que nous à affronter ce genre d’épreuve. Nous sommes, par ailleurs, dans une société où l’on cherche sans arrêt un coupable, qui peut aller de la chauve-souris au capitalisme débridé. On peut reprocher à l’Occident son impréparation, mais pas d’avoir créé cette situation.
Comment jugez-vous l’action du gouvernement ?
Il est passé d’une stratégie de négation à une stratégie de prise de conscience, mais qui a été mal phasée : il était contradictoire de dire, la veille des municipales, « vous avez plus de ans, il ne faut pas sortir » et, en même temps, « vous pouvez aller voter ». D’une politique des petits pas, on est passé sur un chemin, qui me semble plus judicieux, consistant à dire que ça va durer longtemps et que nous n’avons pas tout à fait les moyens de lutter. Les annonces de commandes de masques ou de tests valent action, alors que l’Allemagne fait déjà dix fois plus de diagnostics que nous. On parle en fait au futur.
Cela justifie-t-il que des militants LR attaquent Edouard Philippe et Christophe Castaner en justice pour avoir maintenu le premier tour des municipales, alors que toute la classe politique était d’accord à ce moment-là ?
Le problème, c’est que les partis politiques ont donné leur accord sur la base de garanties de l’État qui jugeait la situation maîtrisée. Cela étant, il est effectivement excessif de revenir sur le passé. Nous sommes dans une course contre le temps, avec l’impression d’avoir à chaque fois un coup de retard. C’est plutôt cela qui pose problème : le gouvernement donne le sentiment de faire la guerre avec les armes des quinze jours qui ont précédé. Tout le monde a compris que le confinement ira jusqu’à fin avril. Compte tenu de la stratégie que nous avons adoptée, il n’y a pas d’autre choix. L’Allemagne, qui a dépisté massivement, compte moins de cas et moins de morts. La stratégie choisie par la France l’a été par défaut. On n’a pas voulu dépister parce qu’on n’avait pas assez de tests. De la même façon, on a dit que les masques ne servaient à rien parce qu’on ne les avait pas. Ne pas dépister, dire aux gens « si vous êtes infectés, rentrez chez vous et prenez du Doliprane », n’a rassuré personne.
Il faut donc accélérer un dépistage massif ?
La première des stratégies est, en effet, de dépister beaucoup plus largement. Cela permettra à la fois de tranquilliser une partie de la population, puis de sortir progressivement du confinement. Dans une épidémie, il faut que plus de la moitié de la population ait été touchée pour que s’opère une vaccination naturelle contre le virus et que soit éradiquée la propagation. On ne pourra pas lever le confinement sans dépistage massif. Comme on n’a pas les vaccins et qu’on ne les aura pas avant un moment, la seule stratégie viable est celle du confinement, couplée à un essor le plus rapide possible des tests. Il est dommage que l’exécutif ait souvent dit tout et son contraire, en particulier que les masques ne servaient à rien : si, ça sert, à condition d’en avoir !
Comment articuler idéalement la connaissance médicale et la décision politique ?
Ce rapport est déjà compliqué et il est encore rendu plus ardu par la transparence de l’information, qui ne va pas de pair avec la connaissance de la complexité. Tous les scientifiques savent que pour affirmer qu’un traitement est efficace, il faut disposer d’une série suffisamment importante, surtout dans une maladie qui guérit spontanément à %. De plus, ce qui marche in vitro ne marche pas forcément in vivo, sur un vrai malade. La diffusion de morceaux de connaissance dans le grand public fait que tout le monde a l’impression de savoir.
Les essais sont aujourd’hui gênés parce que les malades veulent absolument de la chloroquine. On a suscité un tel espoir qu’on a du mal à faire sortir la vérité scientifique. Le politique écoute les scientifiques, mais il a ensuite sa marge de décision. Des études ont montré que si on voulait être vraiment efficace, il faudrait confiner tout le monde à la chinoise, en cloîtrant les gens contaminés quatorze jours dans des hôtels. C’est une bonne méthode pour éradiquer le virus, mais elle est très attentatoire aux libertés. Et nous sommes dans une démocratie. Le politique doit trouver le juste milieu. Chez nous, on est plus dans la persuasion que dans la contrainte, alors que la bonne méthode, d’un point de vue strictement sanitaire, est la méthode totalitaire. Nous avons réduit les libertés au niveau qui reste acceptable par la population dans une démocratie. Notre confinement est un compromis.
Quelle est votre position au sujet de la chloroquine et notamment des risques qu’elle pourrait présenter pour les cardiaques ?
La chloroquine est un médicament qui, à forte dose et sur des sujets sensibles, peut entraîner des troubles du rythme cardiaque. Pour autant, aux doses où elle est préconisée et sous réserve de l’administrer à des personnes sans atteintes cardiaques, son risque est extrêmement faible.
Vous êtes donc plutôt favorable à son utilisation ?
Tous les scientifiques disent, qu’à ce stade, on ne sait pas quel est son effet. Laissons-les chercher et évitons, nous les politiques, médecins ou pas, d’asséner des certitudes dans des domaines où
même les spécialistes doutent et disent qu’il est trop tôt pour savoir si ce traitement est efficace ou pas. Comme dirait Mme Chirac : « Ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas. »
Mais que préconiser alors à un malade qui pense que la chloroquine lui ferait du bien ?
Les médecins ont la liberté et la responsabilité de prescription. Laissons-leur cette responsabilité de soigner. Quand un politique dit qu’il n’y a pas assez de tests ou de masques, il est dans son rôle. En revanche, quand il dit qu’il a pris un médicament et que celui-ci l’a sauvé, il raconte un cas particulier, qui ne fait pas une vérité scientifique.
Il est à la fois excessif de dénigrer la chloroquine et abusif de croire que c’est le remède miracle.
Les transferts sanitaires par TGV ne présentent-ils pas plus de risques que d’intérêt ?
Cela montre surtout un défaut de notre système de santé, dont le gouvernement n’est pas plus responsable que les précédents : ce système est très hospitalo-centré, il raisonne d’hôpital à hôpital et il est plus performant sur la maladie individuelle aiguë que sur une stratégie de santé publique. Notre système reste cloisonné entre l’hospitalisation publique et l’hospitalisation privée d’une part, l’hospitalisation et la médecine libérale d’autre part. C’est ainsi que dans cette crise, nous avons négligé la médecine libérale, pourtant en première ligne au départ face à des syndromes grippaux, sans protection ni stratégie établie. Là encore, notre stratégie s’est définie par défaut. On n’a pas fait monter les soignants libéraux et on a saturé les hôpitaux publics, qui sont à désengorger désormais.
L’évocation d’un « tri » des malades vous a-t-elle choqué ?
Le mot « tri » est humainement insupportable. Mais il y a des choix de réanimation qui, lorsqu’ils sont faits sur un plan éthique, sont légitimes. Quand une personne va de toute façon mourir, qu’elle n’a aucune chance de s’en tirer, est-il utile de la mettre en réanimation sous machine ? A quoi sert-il de sortir un malade mourant d’un Ephad pour le mettre sous machine et le faire mourir une semaine après, au prix quelquefois de souffrances supplémentaires ? En revanche, si ce débat éthique est cannibalisé par un manque de moyens qui impose de choisir entre X et Y, cela devient insupportable.
‘‘ Il faut dépister plus largement”
Vous avez été ministre des Affaires européennes. Etes-vous surpris de l’inertie de l’Europe face à cette crise ?
Hélas, non ! Je suis pour une Europe-puissance, mais je constate que les produits les plus élémentaires comme les masques ne sont pas produits sur le sol européen et que nous sommes dépendants de la Chine ou des USA. La désindustrialisation de l’Europe est une faute majeure, stratégique et politique. On le voit aujourd’hui par le biais de la pandémie, demain ce sera peut-être à travers le numérique et les Gafa. Je suis pour une Europe qui ne soit pas dépendante du reste du monde, que ce soit sur l’agriculture, l’industrie, la recherche… La pertinence n’est pas au niveau national mais européen. Encore faut-il que l’Europe s’empare de la volonté d’être une réelle puissance, qui donnerait de l’indépendance à chaque nation.
‘‘ La médecine libérale a été négligée”
A voir certaines queues devant les supermarchés, ne faudrait-il pas cadrer les ravitaillements de façon plus draconienne ?
Oui. Les maires essaient tous de développer les livraisons. Le CCAS d’Antibes livre ainsi cent repas de plus par jour. L’idéal, en fait, serait de pouvoir généraliser le port du masque, qui permettrait aussi un confinement moins sévère. Nous sortirons de cette crise sanitaire par les tests et les masques.