Angèle, bientôt ans !
Née en 1910 dans le Piémont, arrivée à Monaco vers 1930, lingère jusqu’à 65 ans, la doyenne des AlpesMaritimes Angèle Torielli, en maison de retraite depuis quinze ans, a toute sa tête et même de l’esprit…
Le 23 septembre dernier, pour son 109e anniversaire, elle posait avec ses descendants. Soit cinq générations. Découvrant son arrière-arrière-petit-fils parisien, venu au monde trois mois auparavant, Angèle Torielli a eu ces mots : « Oh qu’il est beau ! » Doyenne du département, cette « supercentenaire » ressemble plutôt à un petit moineau. Un oisillon à l’apparence fragile, mais qui voit clair, s’exprime distinctement – en italien comme en français – et n’a besoin de personne pour s’alimenter ou se désaltérer. Son plaisir : le chocolat. Une aversion : l’eau. « On lui en donne, mais gazeuse. En lui disant que c’est du champagne », dit-on en souriant à la maison de retraite de Roquefort-les-Pins où elle réside depuis… quinze ans.
Lingère au Windsor
Ce qui, prosaïquement, poserait quelques difficultés si Angèle n’avait pris soin de se constituer un modeste patrimoine. « Malgré sa retraite et la pension de réversion de mon père, il faut ajouter 1 000 euros par mois », calcule Claudia, sa fille, 76 ans, secrétaire à la retraite. «Ses économies y sont passées, puis j’ai vendu son appartement de Beausoleil. Pour l’instant, c’est suffisant pour couvrir les dépenses. »
Angèle a connu les deux guerres. La première, côté italien. Née dans le Piémont, elle est arrivée à Monaco à 19 ans, son oncle lui ayant trouvé une place dans un hôtel aujourd’hui disparu, le Windsor. La jeune lingère y a rencontré, parmi les employés, son futur mari. Qui s’est éteint en 1998, à l’âge de 86 ans.
Son métier, Angèle Torielli l’a exercé durant quarante-cinq ans. Lui plaisait-il vraiment ? «Sijene l’aimais pas, il fallait bien le faire. » Elle est comme ça. Économe de sa parole, vite agacée, n’aspirant qu’à la tranquillité.
« Elle n’a jamais montré de signes d’affection ou de tendresse. Plutôt dure, ne se confiant jamais » , témoigne sa fille qui vient lui rendre visite tous les deux ou trois jours.
Que reste-t-il ?
Les personnes très âgées n’aiment pas que l’on touche à leurs habitudes. Angèle Torielli n’échappe pas à la règle. Lever vers 8 heures, petit-déjeuner paisible, toilette, déjeuner à 12 h 15, longue sieste, goûter à 16 heures, dîner à 18 h 15, coucher précoce ; elle dort beaucoup. Rituel, un petit verre de mousseux, un dimanche par mois, quand les familles sont invitées à un apéritif suivi d’un repas.
Une vie au ralenti ? Pas forcément, estime le personnel qui s’occupe d’elle. Angèle échange volontiers avec le psychologue. Et sort à l’occasion des plaisanteries. Rétorquant, lorsqu’on lui parle des « copines » du début, depuis disparues : « Il vaut mieux elles que moi… » Difficile de ne pas y voir le signe d’un attachement à la vie. Heureuse ou pas ? Angèle Torielli ne témoigne pas, comme c’est parfois le cas chez les personnes de très grand âge, d’une volonté de se laisser partir. S’il arrive à ses descendants de se faire houspiller quand sa patience est épuisée, elle peut manifester une sensibilité. Ce qu’elle a fait à la mort de son autre fille, voilà deux ans. « Alors qu’elle se déplaçait encore en s’aidant d’un déambulateur, elle s’est assise et ne s’est plus jamais relevée », raconte Claudia. Claudia qui reconnaît avoir «mal au coeur » en voyant sa mère diminuée. « Je ne pense pas qu’elle s’ennuie, mais plus rien ne l’intéresse. Télévision, journaux, rien. En tout cas, elle qui n’a jamais été malade de toute sa vie ne souffre pas. »
Claudia, circonspecte, veille sur sa mère. En s’interrogeant sur le sens de la vie, à cet âge-là. « Vivre aussi longtemps, comme ça ? Pour moi, je ne souhaite pas. »