Dans les coulisses des batailles des fleurs
À la halle Spada à Nice, une quinzaine de fleuristes expriment le meilleur des corolles niçoises et azuréennes. Tout l’art de piquer entre champ et contre-champ
Deux fois par semaines, durant carnaval, les fleuristes livrent des batailles. Dont les munitions sont des fleurs. Dont les cibles sont des coeurs. Ceux de milliers de spectateurs venus en découdre et quitter les tribunes, avec, en guise de trophées de guerre des boutons, des bouquets serrés sur leur poitrine. Ce fut encore le cas, hier après-midi à l’issue d’une parade sur red carpet. Les fleuristes ou l’art de s’accrocher aux branches du talent… Défenseurs des combats pacifiques à coups de corolles blanches ou multicolores. Bombardements joyeux et soyeux. Ayant pour supports armés, seize espaces verts roulants, sur lesquels, chaque veille de conflit végétal, le rituel est le même. Pour la guerre des deux-roses et la révolution des oeillets, les forces en présence ne varient pas. Un groupement de fleuristes, GME nouvelle vague, conduit par Nicole Bravi. Une boîte d’événementiel Made in Even, représentée par Armelle Sourit. Deux individuels : Carine Lallau et Joseph Pina. Soit une quinzaine de fleuristes de Nice et de la région. Qui préparent leurs campagnes à la halle Spada. Qui oublient l’humidité remontant par les pieds. Le froid ennemi des doigts. Un char de bataille de fleurs, ça ne s’improvise pas. « Il y a d’abord l’appel d’offres, décompose Joseph Pina. D’habitude, il sort en août. Là, on en a eu connaissance en décembre. C’est plus compliqué pour les productions et un peu tard pour planter. L’idéal serait juin pour avoir le temps de faire pousser de la fleur locale. »
De Hyères à San Remo via Nice
À partir de l’acceptation de l’offre, chaque fleuriste, ayant postulé pour un char précis, commande ses propres fleurs. En fonction des costumes des filles à bord, des modules à garnir. Qui sont les fournisseurs ? « Des producteurs directs, répond Nicole Merlino, chargée de contrôler et de coordonner les fleuristes. Des horticulteurs installés entre Hyères et San Remo en passant par Nice et ses environs. » Sont estampillées espèces locales : strelitzias, mufliers, giroflées, lys, germinis, gerberas, genêts. Les oeillets ? Depuis quelques années, ils font leur comeback joliment frisottés. Les petits tutus froufroutants ivoire, jaunes, roses, rouges, violets… ne sont pas niçois, mais italiens. Des cousins… Ensuite, tulipes, orchidées, anthuriums, roses arrivent des Pays-Bas. «Ona50%de fleurs du terroir. Avec le mimosa qu’on lance, on arrive à 70 % de production Nice, Côte d’Azur. C’est tout de même pas mal », argumente Nicole Merlino.
Visualiser, anticiper
Étape importante : voir les structures pour visualiser les impacts de fleurs. «Sur les tribunes, poursuit Joseph, les gens n’ont pas la même vision du char, que sur la chaussée. On monte sur des échelles. On recule. On doit se projeter. » Les fleurs arrivent en rangs serrés la veille du piquage sur les plateaux. « On nous livre ici à Spada. Les fleurs sont déjà ouvertes, ce qui est important. On ne pourrait pas piquer, par exemple, des lys fermés. Le piquage démarre à 7 heures et se poursuit jusqu’en début de soirée. »
Jadis les touffes d’oeillets collées
La mission de ce collectif épanoui ? Faire du volume. Inventer des agencements gracieux, spectaculaires. Avec technique. Avec art. Tous s’y emploient. Comme Michelle Courageux. Présente depuis des lustres. « J’ai toujours décoré les chars, même lorsque j’étais fleuriste, avenue de l’Arméedes-Alpes. » Elle évoque des souvenirs floraux qu’on n’imagine même plus aujourd’hui. « J’ai connu l’époque où on collait des touffes de pétales d’oeillets sur les supports. On y laissait les mains, mais quel effet ! » Michelle. Qualifiée par ses collègues de « rayon de soleil ». De « fleur parmi les fleurs ». Des collègues. Une famille aussi. On s’entraide parfois à fixer 2 500 tiges par char plus les feuillages (3 000 pour le char de la reine). On se parle d’un escabeau à l’autre. On rigole. On partage la merenda. Toutes et tous attachés à ces batailles, fleurons de Nice et de sa poétique terre horticole. Ils méritent bien quelques lauriers…