Ils ont réussi dans leur nouveau monde
Les Français originaires du Maroc ou de Tunisie n’ont pas toujours porté le nom de pieds-noirs. L’expression collait à l’origine aux Français, partis d’Algérie. Ceux du Maroc ou de Tunisie, le sont, par extension, car « même s’il n’y a pas eu de guerre, contrairement à l’Algérie, il y a eu déracinement et exil », explique JeanJacques Jordi. Cet historien est spécialiste des migrations en Méditerranée occidentale aux XIXe et XXe siècles, des pieds-noirs et de la colonisation. Il est né à Fort-de-L’Eau en Algérie, qu’il a dû quitter en 1962, l’année de ses 7 ans. Les pieds-noirs, qui ont réussi ne sont pas uniquement ceux qui ont gagné une renommée, comme les artistes, mais aussi ceux qui s’en sont sortis, en repartant de rien.
Les pieds-noirs ont-ils réussi dans leur vie métropolitaine ? La réussite, il faut l’entendre non pas sur une personne mais sur une famille. Ce sont surtout les enfants qui vont aller plus loin. A la fin des années , les enfants d’ouvriers, métropolitains, étaient à % à Ces personnes ont dû se débrouiller, repartir complètement à zéro. Certaines se sont lancées à fond, en créant leur entreprise. Certaines ont transféré leur affaire, comme les boulangers, les ébénistes. Elles ont réussi pour la plupart. Cela n’a pas empêché les suicides, divorces et troubles psychiatriques, comme la mélancolie. En agriculture elles ont apporté de nouvelles méthodes, comme le goutte-à-goutte, qui venait d’Israël et qu’elles avaient expérimenté en Algérie. Elles ont réussi dans le médical, le juridique, l’artistique... Elle l’a été à condition de ne pas avoir l’accent et de ne pas dire qu’on était pied-noir. A condition de se renier. Elle a été plus difficile quand on reconnaissait d’où vous veniez. Certains métropolitains pensaient que si vous étiez pieds-noirs, vous aviez exploité les indigènes. Tous n’étaient pas des colons, qui possédaient les grandes terres. Il y avait des petits fonctionnaires, des artisans, des petits propriétaires. Ils pensaient que leurs enfants avaient été tués en Algérie à cause de vous. Ils trouvaient que les pieds-noirs parlaient fort.
Ceux qui ont vraiment réussi, par exemple au cinéma, ont-ils oublié d’où ils venaient ? Ils ne mettent pas automatiquement en avant leur côté pied-noir, mais ne le rejettent pas. Cela fait partie de leur force. Ce sentiment d’exil des parents a rendu service aux enfants en leur donnant l’envie d’une revanche à prendre sur la France. Je suis persuadé que les enfants portent les souffrances de leurs parents. Ils les ont sublimées pour avancer.
Vient de paraître : Idées reçues sur les Pieds-Noirs, de Jean-Jacques Jordi, réédition aux éditions Cavalier bleu.