Nice déclare la guerre biologique au charançon
Face au charançon rouge, l’insecte tueur qui a infesté depuis 2011 au moins un tiers des palmiers de la ville, la municipalité dégaine une solution 100 % bio
Karine Panchaud fronce les sourcils : « Je ne suis pas là pour parler des détracteurs. » Plantée devant une poignée de journalistes et un palmier du parc Phoenix, à Nice, la biologiste du laboratoire varois Vegetech est là pour parler du Beauveria bassiana, un champignon capable de tuer le charançon rouge qui dévore les palmiers du littoral. Sa souche 111 vient d’obtenir en mars dernier une autorisation de mise sur le marché de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses). « Pionnière », se félicite le maire Christian Estrosi. Sa commune est la première ville en France à expérimenter cette solution. 1 500 palmiers dattiers et des Canaries de la ville vont être traités. Pulvérisé en granulés au sommet du palmier à l’aide d’une perche ou en nacelle, le champignon neutralise le charançon en quelques jours. Une fois l’insecte agressé, ce dernier devient luimême contaminant pour ses congénères.
« Une question de santé publique »
Le Beauveria sera administré en « cure de choc » quatre fois par an. Les nématodes, des vers microbiologiques qui infectent eux aussi les charançons et leurs larves, complètent ce dispositif 100 % naturel. Engagée dans une démarche zéro pesticides depuis 2009, la municipalité niçoise a toujours refusé de se servir des traitements chimiques existants, « parce que c’est une question de santé publique », répond Jean-Michel Meuriot, l’expert botaniste de la ville. Dans la lutte contre le gros insecte, deux camps s’affrontent. Jean-Michel Meuriot articule très vite « lobby chimique ». Dans le Var, la communauté d’agglomération de Fréjus-Saint-Raphaël traite ses palmiers en injectant un insecticide dans le stide, c’est-à-dire le tronc. Et se targue d’un taux d’échec inférieur à 1,5 % sur plus de 2 700 palmiers traités. Les tests d’efficacité du Beauvaria afficheraient, eux, un taux d’efficacité de 90 %. Mais en novembre dernier, au chevet de dizaines de troncs nus, les riverains du parc Vigier ont fait (Photo A. M.) circuler une pétition réclamant «l’arrêt des traitements bio». C’est dans ce jardin municipal, et au Castel des Deux Rois, que s’est déroulée une partie des expérimentations au Beauveria. « Oui, il y a eu des pertes», reconnaît Karine Panchaud. Mais à côté d’elle, les services de la Ville en contestent l’ampleur. 50 palmiers perdus ? « C’est moins. » « Pour pouvoir quantifier les choses et affiner le traitement, il faut accepter de perdre des palmiers », dit encore la scientifique. Sept ans de travail précèdent l’autorisation de mise sur le marché. « Il a fallu cinq années pour isoler la couche de Beauveria la plus efficace et nous poursuivons nos travaux », continue Karine Panchaud.
Pas d’estimation de coût
L’Union européenne vient d’élargir l’interdiction de trois néonicotinoïdes, des pesticides jugés dangereux pour les abeilles. Jusque-là, la Ville avait décidé d’enfreindre les arrêtés ministériels réglementant la lutte contre le charançon, qui préconisaient trois solutions, toutes avec des produits chimiques (au moins en juillet et août). Aujourd’hui, elle a le sentiment d’être du bon côté de l’histoire. « Notre produit a la mention “abeille” : il peut être appliqué en période de floraison », précise Karine Panchaud. Le Beauveria doit tout de même l’être hors présence des abeilles, et les pulvérisations devraient avoir lieu la nuit. À combien reviendra le traitement ? L’équipe de la Ville secoue la tête : « Pas d’estimation pour le moment. » « Le coût du kilo est fixe, c’est une douzaine d’euros. Ensuite il y a la main-d’oeuvre », précise la biologiste de Vegetech. L’ARY0711B-01 est fabriqué par la société Arysta Life Science basée à Pau. Il sera appliqué à Nice par un prestataire privé.