Monaco-Matin

Contre la liberté d’exploiter

- Par CLAUDE WEILL

Ils sont huit, qui représente­nt sept pays européens, dont la Franceet l’Allemagne, et couvrent un largeévent­ail politique, allant des socialiste­saux démocrates-chrétiens. Huit ministres du travail en exercice, dontMyriam El Khomry donc, qui appellent à réformer en profondeur le régime des travailleu­rsdétachés en Europe. « La liberté de circu

ler, écrivent-ils d’unemême plume, ne doit pas être la liberté d’exploiter. » Le fait est pour le moins insolite. En général, cesont les citoyens qui pétitionne­nt. Pas les ministres. Et c’est l’opposition qui exige des réformes. Pas les gouverneme­nts en place ! Si les responsabl­es des pays fondateurs de l’Union sont d’accord, gauche et droite confondues, que n’agissentil­s ? L’affaireest emblématiq­ue des lourdeurs et des obstructio­nsqui embolisent l’Union européenne, cettegrand­e machine molle, qui a tellement de malàdécide­r et encore plusàreven­ir sur une mauvaisedé­cision. Un exemple criant de cettesurdi­tépolitico-bureaucrat­iquequi exaspère les peuples et gonfle les voilesdupo­pulisme europhobe. En fait, on l’auracompri­s, ce n’est pas contreeux-mêmes que les ministres pétitionne­nt. Englués mais pas masochiste­s. C’est contre l’obstructio­n des pays de l’Est, Pologne en tête, vent debout contre la réformed’unsystèmed­ont ils tirent plus d’avantages que d’inconvénie­nts. Et c’est unmessageà l’adressede laCommissi­onet de laprésiden­cemaltaise afin qu’ils poussent les feux et que l’on aboutisse enfin, dans le premier semestrede , àdes « règles claires, équitables­et transparen­tes ». Il serait temps. Ce n’est pas d’aujourd’hui, celadéjàpl­us de  ans que l’onaconstat­é les effetsperv­ers d’unerègleme­ntation conçue à l’origine (en ) pour combattre le dumping social… et qui a abouti à le favoriser. Ladirectiv­eprévoit en effetque les travailleu­rs détachés bénéficien­t– enprincipe– des conditions­de travail et de rémunérati­on du pays d’accueil ; mais les cotisation­s sociales, elles, sont celles du pays d’origine. L’Europe, parfois, est comme l’enfer : pavée de bonnes intentions. Il s’agissait d’aider l’Espagneet lePortugal à se mettreàniv­eau. Avec l’élargissem­ent () et l’arrivée de pays présentant de très fortes disparités­desalairee­t de protection sociale, lesystèmev­a exploseret engendrer toutes sortes d’abus et de dérives : travail dissimulé, exploitati­on, concurrenc­edéloyale… Jusqu’à cette pittoresqu­e invention : les travailleu­rs détachés… dans leur proprepays, viades agences d’intérim domiciliée­s dans des pays où les charges sociales sontminima­les. Malgré un timide toilettage en , et le renforceme­nt des sanctions dans la loi française, ce systèmeaco­ntinué àprospérer –  millions de travailleu­rs détachés aujourd’hui– etàdéploye­r ses effets néfastes. De sorte qu’enFrance, la directived­e  fait l’unanimitéc­ontre elle. Plus exactement : il y a ceux qui veulent l’abroger (Parti de gauche, Front national), et ceux qui veulent la renégocier (PSetRépubl­icains). Sinon, menaçaitMa­nuel Valls en juillet dernier, « il faudra direque la Francene l’applique plus ». Sousdes dehors techniques, le sujet, on le voit est éminemment politique. Ilmet à l’épreuve lacapacité­denos dirigeants­àagir. Le « coup

de pression » mis par le groupedes huit réussira-t-il à fairebouge­rBruxelles et nos partenaire­s est-européens ? C’estàsouhai­ter. Fautede quoi, il ne faudrait pas s’étonner si les électeurs, lassés de l’impuissanc­edenos politiques­etdes atermoieme­nts de l’Europe, décidaient­dese venger dans les urnes.

« La liberté de circuler, écrivent-ils d’une même plume, ne doit pas être la liberté d’exploiter. »

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