Contre la liberté d’exploiter
Ils sont huit, qui représentent sept pays européens, dont la Franceet l’Allemagne, et couvrent un largeéventail politique, allant des socialistesaux démocrates-chrétiens. Huit ministres du travail en exercice, dontMyriam El Khomry donc, qui appellent à réformer en profondeur le régime des travailleursdétachés en Europe. « La liberté de circu
ler, écrivent-ils d’unemême plume, ne doit pas être la liberté d’exploiter. » Le fait est pour le moins insolite. En général, cesont les citoyens qui pétitionnent. Pas les ministres. Et c’est l’opposition qui exige des réformes. Pas les gouvernements en place ! Si les responsables des pays fondateurs de l’Union sont d’accord, gauche et droite confondues, que n’agissentils ? L’affaireest emblématique des lourdeurs et des obstructionsqui embolisent l’Union européenne, cettegrande machine molle, qui a tellement de malàdécider et encore plusàrevenir sur une mauvaisedécision. Un exemple criant de cettesurditépolitico-bureaucratiquequi exaspère les peuples et gonfle les voilesdupopulisme europhobe. En fait, on l’auracompris, ce n’est pas contreeux-mêmes que les ministres pétitionnent. Englués mais pas masochistes. C’est contre l’obstruction des pays de l’Est, Pologne en tête, vent debout contre la réformed’unsystèmedont ils tirent plus d’avantages que d’inconvénients. Et c’est unmessageà l’adressede laCommissionet de laprésidencemaltaise afin qu’ils poussent les feux et que l’on aboutisse enfin, dans le premier semestrede , àdes « règles claires, équitableset transparentes ». Il serait temps. Ce n’est pas d’aujourd’hui, celadéjàplus de ans que l’onaconstaté les effetspervers d’unerèglementation conçue à l’origine (en ) pour combattre le dumping social… et qui a abouti à le favoriser. Ladirectiveprévoit en effetque les travailleurs détachés bénéficient– enprincipe– des conditionsde travail et de rémunération du pays d’accueil ; mais les cotisations sociales, elles, sont celles du pays d’origine. L’Europe, parfois, est comme l’enfer : pavée de bonnes intentions. Il s’agissait d’aider l’Espagneet lePortugal à se mettreàniveau. Avec l’élargissement () et l’arrivée de pays présentant de très fortes disparitésdesalaireet de protection sociale, lesystèmeva exploseret engendrer toutes sortes d’abus et de dérives : travail dissimulé, exploitation, concurrencedéloyale… Jusqu’à cette pittoresque invention : les travailleurs détachés… dans leur proprepays, viades agences d’intérim domiciliées dans des pays où les charges sociales sontminimales. Malgré un timide toilettage en , et le renforcement des sanctions dans la loi française, ce systèmeacontinué àprospérer – millions de travailleurs détachés aujourd’hui– etàdéployer ses effets néfastes. De sorte qu’enFrance, la directivede fait l’unanimitécontre elle. Plus exactement : il y a ceux qui veulent l’abroger (Parti de gauche, Front national), et ceux qui veulent la renégocier (PSetRépublicains). Sinon, menaçaitManuel Valls en juillet dernier, « il faudra direque la Francene l’applique plus ». Sousdes dehors techniques, le sujet, on le voit est éminemment politique. Ilmet à l’épreuve lacapacitédenos dirigeantsàagir. Le « coup
de pression » mis par le groupedes huit réussira-t-il à fairebougerBruxelles et nos partenaires est-européens ? C’estàsouhaiter. Fautede quoi, il ne faudrait pas s’étonner si les électeurs, lassés de l’impuissancedenos politiquesetdes atermoiements de l’Europe, décidaientdese venger dans les urnes.
« La liberté de circuler, écrivent-ils d’une même plume, ne doit pas être la liberté d’exploiter. »