Comme une épopée, notre épopée
«Frontalier» de Jean Portante au TNL: une histoire familiale en trois générations
Au TNL, «Frontalier» de Jean Portante, mis en scène par Frank Hoffmann et interprété par Jacques Bonnaffé, emporte ses spectateurs dans une épopée de l’exil, revenant aux origines antiques, s’attardant aux histoires familiales, pour parler d’aujourd’hui, pour nous interpeller.
Des faits sublimés par leur approche poétique, devenus si audibles, si sensibles, si urgents, grâce au jeu du comédien. Il est des soirs de belle surprise, ainsi celui que nous avons vécu avec le «Frontalier» de Jean Portante.
Encore les frontaliers? Oui, mais si différemment, si pertinemment. Le texte en est admirable qui, fondé sur une histoire familiale en trois générations, élargit le propos. Tout part du grand-père, arrivé de sa lointaine et pauvre Italie en nos régions de minerais, du père prenant le relais dans les hautsfourneaux, du fils, d’ici et de là lui aussi, prenant, lui, la parole. Exils perpétués.
Mais ces migrants-là ne sont jamais que les descendants d’autres migrants, mythiques ceux-là, comme Enée fuyant Troie ville en feu, son père sur le dos, se risquant sur la Méditerranée. Ils sont les frères, les cousins, de ceux d’aujourd’hui, fuyant d’autres villes en feu pour aller mourir, se noyer, dans cette même Méditerranée.
Ce texte prend les dimensions de notre univers et de notre histoire. Surtout, loin d’un constat chiffré et dénonciateur, de bonne conscience révoltée, il atteint une ampleur poétique, épique.
Ce qui nous touche, ce qui nous émeut, ce ne sont plus les faits, nous les connaissons rabâchés qu’ils sont, non, ce sont les mots et les phrases qui les disent. Répétitions, métaphores, insistances, périodes, phrases rythmées, scandées, haletantes, bousculées, cris, silences, bégaiements…
Ressentir et vibrer tous ensemble
Ces mots-là, ces phrases-là nous percutent, nous réveillent, nous sensibilisent. Il ne s’agit plus de comprendre, mais de ressentir, de vibrer tous ensemble dans la magnifique proximité (même prudemment distanciée) du théâtre.
Si cela nous touche ainsi, c’est parce que ces mots et ces phrases sont incarnés, si justement et si inventivement, dans leur interprète, Jacques Bonnaffé, si justement et si inventivement, dans leur mise en scène par Frank Hoffmann.
Il est là, le comédien, tout près de nous, à côté de nous, au milieu de nous, qui sommes dans son souffle. Son corps ne mime pas, son corps dit, chante, crie, pleure, s’effondre, se relève, s’agite, se dresse. Il est à la (dé)mesure des mots et des phrases, il est cette épopéelà, il est cette poésie-là. Un texte et un jeu balisés, atmosphérisés par les effets sonores et les choix musicaux de René Nuss, ciselés par les lumières de Zeljko Sestak.
Oui, le théâtre dit le monde et les êtres quand il retrouve le souffle épique et poétique de ses lointaines origines.
Loin d’un constat chiffré et dénonciateur, de bonne conscience révoltée, ce texte atteint une ampleur poétique, épique.
Encore représenté aux Ateliers du TNL le vendredi 26 mars à 20 heures. Infos:
www.tnl.lu