Nul besoin de… nous
Réflexions d’une psychologue-neuropsychologue clinique
La crise sanitaire que traverse actuellement le monde ne laisse personne indifférent, ni au Luxembourg, ni ailleurs. Les uns ont peur, les autres font preuve de défiance, ce qui finalement n’est que de la peur refoulée, encore d’autres souffrent du confinement, de cette liberté volée dans l’intérêt de la communauté et «last but not least» on a ceux qui se retrouvent d’un jour à l’autre sans revenus.
Lisez bien, sans revenus et avec des charges à payer. C’est le cas de certains commerces, de nombreux artisans et puis des professions libérales (et sûrement de nombreuses autres professionnels).
Notre gouvernement, bien entendu, n’allait pas abandonner ses fidèles électeurs et a promis de l’aide à ceux touchés financièrement par la crise, mais… pas tout le monde, comme l’affirmait clairement un de nos ministres lors d’une conférence de presse le 20 mars 2020.
Parmi les mesures proposées, aux citoyens privilégiés ou moins privilégiés, on compte par exemple le recours au chômage partiel, la levée des avances trimestrielles avec délai de paiement pour les impôts directs et TVA, l’octroi d’un prêt et une aide de 5.000 euros aux indépendants.
Or, si on étudie de plus près cette dernière aide on constate que les conditions d’obtention sont quand même assez restrictives. D’abord il faut que l’activité ait dû être interrompue suite aux mesures spéciales prises par le gouvernement. Cela signifie que l’aide ne s’applique qu’à ceux qui ont été obligés de cesser leur activité suite au règlement grand-ducal du 18 mars portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Ensuite, le chiffre d’affaires de l’exercice précédent doit dépasser les 15.000 euros, l’indépendant ou la petite entreprise ne doit pas employer plus de neuf salariés et finalement il faut une autorisation d’exploitation du ministère des classes moyennes.
Et voilà le hic… bon nombre de travailleurs indépendants ou de professions libérales ne dépendent pas des classes moyennes et ne sont dès lors pas en possession d’une telle autorisation d’exploitation. Par conséquent, ils ont vu leur demande d’aide financière rejetée.
S’ajoute le fait que nombreux sont ceux, notamment parmi les fameux «travailleurs intellectuels indépendants» (note à part: quelle catégorie fourre-tout!), qui n’ont pas été obligés de cesser leur activité mais dont cette dernière a cessé parce que la nature même de leur profession nécessite un échange en face à face. Or, en ces temps de crise sanitaire et de panique plus ou moins généralisée, nombreux sont ceux qui au nom du «social distancing», que je ne remets nullement en question, évitent les échanges directs dans la mesure du possible.
Chers lecteurs, même en cette ère de la digitalisation, toutes les professions ne se prêtent pas au télétravail.
Chers lecteurs, même en cette ère de la digitalisation, il existe des personnes mal à l’aise avec des téléconsultations.
Et voilà qu’on arrive au sort des psychologues, parmi lesquels on compte les neuropsychologues cliniques. Vous allez peut-être vous dire que les fameux psychologues-neuropsychologues doivent dépendre du ministère de la santé et qu’ils ont donc sûrement droit à l’un des CDD proposés par ce ministère. Osez donc une excursion sur le site web govjobs.lu, rubriques «Appel aux professionnels de santé» et «Appel à volontaires» et vous allez constater que des psychologues sont repris dans la deuxième rubrique et pas dans celle des professionnels de santé. Tandis que le bénévolat est certes honorable et louable il ne paye pas le loyer du cabinet, ni les charges qui restent dues. Même si une tolérance administrative par rapport à d’éventuels retards de paiement a été instaurée, tôt ou tard, les frais resteront dus.
Voilà donc la situation dans laquelle se trouvent les psychologues et autres professions oeuvrant sous l’appellation de «travailleur intellectuel indépendant», qui ont vu leur chiffre d’affaires en chute libre depuis le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19.
Dans ledit règlement grand-ducal les psychologues-neuropsychologues ne sont repris, ni parmi ceux dont l’activité serait interdite, ni parmi ceux dont l’activité resterait autorisée. Un «no man’s land» juridique, qui reflète bien le «no man’s land» ministériel d’une occupation, qui n’est ni du ressort du ministère des classes moyennes, ni du ressort du ministère de la santé, et se retrouve dès lors exclue des mesures d’aide.
Dans ce contexte deux questions s’imposent. En premier lieu, pourquoi les psychologues-neuropsychologues, auxquels certaines institutions étatiques et de nombreux médecins demandent d’établir des bilans neuropsychologiques sur des personnes présentant des troubles neuro-cognitifs et psychiatriques, ne sont-ils pas considérés comme professionnels de la santé. Ensuite, pourquoi ces professionnels qui travaillent avec des personnes vulnérables tant d’un point de vue psychique que physique (et je pense qu’on peut compter les séquelles d’un AVC ou d’une tumeur cérébrale entre autres comme des séquelles physiques avec impact psychique) ne sont pas reconnus à leur juste valeur?
Si explication vous avez cher lecteur, merci de bien vouloir éclairer ma chandelle afin que mes collègues (eh oui, je ne suis pas seule) et moi-même puissions comprendre pourquoi on nous laisse sans aide réelle… un prêt remboursable n’étant pas une aide réaliste pour un indépendant qui a difficile à joindre les deux bouts à la fin du mois, parce que le loyer et les charges associées, ainsi que les charges sociales, les avances sur impôts et la TVA restent dues, même et surtout après une période, dont la durée reste à ce stade inconnue, sans revenus.
Dr Michèle Pisani,
Luxembourg