Corentin de Chatelperron
Aventurier écolo, Nomade des Mers et révolutionnaire « low tech » : n’en jetez plus !
Aventurier, écolo, et plein de culot : Corentin de Chatelperron a créé le premier voilier en fibre naturelle, le jute, et pour prouver que son idée était bonne, a fait quatorze mille kilomètres avec, du Bangladesh à La Ciotat. Depuis, il a rassemblé les énergies autour des Low Tech, des innovations simples pour répondre aux besoins de base des humains, et prépare son prochain multicoque en fibres naturelles. Changer le monde est
à sa portée – la preuve, vous lirez ces lignes.
Il y a, chez chacun d’entre nous, une petite voix qui nous dit, un jour, qu’un autre soi est possible, qu’il est là, à portée de main, qu’une décision, une seule, suffirait pour changer radicalement, être soi- même tel qu’on le fantasme avec un mélange d’appréhension et de désir refoulé. Un jour de 2009, Corentin de Chatelperron a écouté sa petite voix intérieure, celle qui lui dit d’oser, qu’un autre monde l’attend, un simple pas de côté suffit pour s’y plonger. Comme l’a écrit Isabelle Autissier, qui s’y connaît en marins fous ou solitaires, Corentin de Chatelperron, « avec son nom qui fleure bon la noblesse de Basse- Bretagne, fils de notaire, ingénieur » a joliment raté une tran
quille carrière « aux ponts et chaussées » . Pourtant tout était tracé, ou presque : le baccalauréat, puis l’Institut catholique des arts et métiers, l’ICAM de Nantes qui lui délivre le diplôme d’ingénieur « généraliste » . Le risque, c’est celui qui guette tous les étudiants dans ce cas de figure – et qui tue l’aventurier dans l’oeuf – c’est la vie sur les rails, ingénieur, instit, employé, cadre ou journaliste : vous finissez vos études, un premier job, une guerre permanente pour en conserver un, et vous vous réveillez quinze ans plus tard avec un prêt- à- boucler, et des velléités d’aventure proches de zéro. Corentin – appelons- le par son prénom – a switché de son parcours tout tracé en postulant pour travailler sur un chantier naval au Bangladesh – pays inconnu sur la carte touristique du monde mais bien identifié sur celle des requins de l’habillement. Une histoire de rencontres d’abord : celle avec Yves Marre, responsable du chantier Tara Tari, qui cherchait un ingénieur pour le seconder. Pas banal, Yves Marre était venu au Bangladesh en péniche, depuis la France. Le fils prodigue va l’égaler. Au Bangladesh, les pêcheurs finissent dans les bidonvilles et leurs femmes sous les briques des usines de textile : les bateaux en fibre de verre coûtent cher, trop cher, et le bois est devenu trop rare. Effets collatéraux : pollution, recyclage des bateaux zéro, perte des savoirfaire traditionnels. Pourtant, un matériau naturel pousse ici à profusion, des grandes plantes de deux mètres, les pieds dans l’eau du Gange : le jute – vous savez, ce qui servait de sac à patates avant l’irruption du plastique. Pourquoi ne pas essayer de construire un bateau en fibre de jute, dont la matière première est gratuite ? Inutile de dénombrer le nombre d’essais qu’il a fallu pour trouver le bon dosage de colle, de jute et de… fibre de verre : le premier bateau de Corentin, Tara Tari, sera constitué à 40 % de fibre de jute – c’est déjà beaucoup, et c’est une première – des laborantins à qui il s’est adressé en France étaient carrément sceptiques. Mais d’autres se lancent, aident le jeune ingénieur à réaliser son rêve de bateau écolo : le réseau d’Yves Marre, au premier rang duquel se trouve Marc Van Peteghem, architecte naval engagé dans le développement au Bangladesh, en sus de ses réalisations ( un multicoque primé sur la Coupe de l’America, entre autres) et qui va dessiner Tara Tari. Les ( bonnes) rencontres : un des secrets de la réussite de Corentin. Lui se dit influencé par Saint- Exupéry et Henri de Monfreid : un pilote bravant l’inconnu pour la gloire de l’Aéropostale, et un contrebandier opiomane, bourgeois défroqué, tous deux grands conteurs de leurs propres aventures. Comme eux, une bonne famille et une bonne éducation ne va pas lui suffire. Il va tenter l’aventure – et c’est le passage de l’idée à sa réalisation qui est le plus difficile. « Tant de justifications masquent la peur de l’inconnu : un emprunt, une famille, une femme qui n’aime pas voyager, la sécurité de l’emploi, le cumul des points retraite… » écrit- il dans son récit, L’aventure de Tara Tari. Pensez à Thor Heyerdahl et son fameux radeau Kon- Tiki qui, pour prouver la pertinence de sa théorie – une partie des peuples polynésiens aurait pu venir d’Amérique du Sud – partit traverser le Pacifique sur un radeau de balsa. Corentin de Chatelperron a une idée un peu folle : construire un bateau en fibre de jute et rentrer en France avec – pour prouver sa solidité. « Le meilleur moyen de prouver une théorie avec un bateau, c’est de la mettre en pratique, explique- t- il. J’avais le choix entre continuer mes recherches en faisant des piles de dossiers de demande de fonds – ou suivre la méthode Kon- Tiki, la preuve par la démonstration ! » Corentin n’est pas un marin : « Je suis un passionné de rando, pas d’océan » et
CONSTRUIRE UN BATEAU EN FIBRE DE JUTE ET RENTRER EN FRANCE AVEC – POUR PROUVER SA SOLIDITÉ.
n’a appris l’existence des Pilot Charts ou navigué en solitaire qu’après avoir eu l’idée de faire 14 000 kilomètres sur une coquille… de jute. « La randonnée, maintes fois pratiquée en famille, m’a donné le goût des immensités. » Lui qui construisait « des cabanes, des
radeaux au bord de l’eau » avec son frère Arthur – qui le rejoindra en mer Rouge lors de l’expé Tara Tari – goûte d’abord les étendues du Morbihan natal, le Vercors, l’Amérique du Sud, l’Indonésie, et puis l’Inde, six mois. Quasiment un curriculum d’étudiant Erasmus détendu – mais « conscient » : il passe deux mois à Auroville, en Inde, cité utopique survivante. « Mes convictions écologistes ont évolué, à Auroville. Je me suis rendu compte que l’empathie avec la nature ne suffisait pas. Que l’homme pouvait, devait s’adapter mieux à son environnement. » À Auroville, les technologies durables sont étudiées, les éoliennes fleurissent. Corentin prend son destin sous un autre angle – veut mettre ses compétences au service des technologies durables. Il ne veut pas, ne peut plus vivre en imaginant travailler « sur l’optimisation des injecteurs de moules de brosse à dents » . Auroville marque un passage, de témoin passif à acteur du monde.
LE GRAND TEST
Mi- novembre 2009, il reste trois mois avant le départ théorique, prévu mi- février pour bénéficier des meilleurs courants et éviter la mousson – et le bateau n’existe encore qu’à l’état de dessin. Le marin est encore d’eau douce, avec « quelques week- ends dans le Morbihan, à naviguer jusqu’à l’île d’Houat » , et n’a jamais navigué au large et encore moins seul. Partisan du essayons d’abord, on verra ensuite ? « J’y crois beaucoup. Si j’avais fait trois stages avant, eh bien je ne serais peutêtre pas parti. » Le cahier des charges était clair : « Faire un bateau simple, et qui du point de vue sécurité soit au top – en cas de retournement, pouvoir le remettre seul à flot par exemple » . Corentin raconte que sa préparation à l’écart de tous lui a sûrement permis de travailler sereinement – en allant acheter boulons et matériel de navigation d’occasion dans les rues poussiéreuses de Dacca. N’empêche : relier le Bangladesh à La Ciotat avec à peu près zéro expérience, il ne fallait pas manquer de culot. « Je me suis entraîné sur le fleuve au Bangladesh, mais il n’y avait pas de vent… Le principal danger c’est de tomber à l’eau, donc il faut essayer de rester attaché le plus possible » dit- il, lui qu’on ne voit jamais attaché sur les photos. « Quand tu as fait trois jours de mer, le bateau tu le connais par coeur, et puis voilà. Si tu as plus d’expérience, tu vas plus vite en affinant ton réglage de voiles, mais bon, moi j’avais le temps. » Aucune morgue dans ces paroles, juste un constat – et une pratique : essayer d’abord, se plaindre très éventuellement ensuite. L’aventure a marché : Corentin
CORENTIN N’EST PAS UN MARIN : « JE SUIS UN PASSIONNÉ DE RANDO, PAS D’OCÉAN » .