Clipper Race : une course pour des amateurs sans peur
L’océan est à vous ! Si ses horizons vous attirent, vous pouvez partir à la conquête de vos rêves marins, à condition d’accepter de sortir de votre zone de confort. C’est le deal proposé par les organisateurs de la Clipper Race.
UNE AVENTURE MAJUSCULE,
celle de leur vie pour beaucoup. Ces circumnavigateurs qui ont dû mettre la main au portefeuille, quitter leur boulot, parfois vendre leur maison et annoncer à leurs proches qu’ils ne rentreront pas avant longtemps… Telle est la Clipper Race, cette course autour du monde extrême, mais faite pour les amateurs. Certains sont un peu moins engagés : ce sont « leggers ». Cela signifie qu’ils ne font pas le tour complet mais une ou plusieurs étapes, aussi appelées « legs ». Une option qui permet de goûter à l’aventure sans trop se saigner financièrement. Anne, infirmière à la retraite, rappelle le coût élevé : « C’est cher, il faut compter entre 6 500 et 7 800 £ par leg ». Robert s’est inscrit sur la leg 3, entre l’Afrique du Sud et l’Australie. Il doit jongler entre son agenda de chirurgien et sa vie de famille : « Je travaille encore. C’est du temps que je prends sur mon temps perso ». Pour ce plaisancier habitué aux navigations côtières en Méditerranée, cette transocéanique le long des 40es rugissants évoque « les premières courses au large, la Whitbread, puis les courses en solitaire autour du monde. Les images que l’on a en tête sont celles de l’océan Indien et des fameuses vagues des 40es et 50es parallèles. Et puis, il s’agit de la route des anciens, celle qu’empruntaient les Compagnies des Indes au départ de l’Afrique du Sud ». Au total, la course autour du monde dure onze mois. Elle est divisée en quinze courses réparties en huit legs, soit quatorze escales sur six continents différents.
La Clipper Round The World Yacht Race a été créée par le célèbre navigateur anglais Sir Robin Knox-Johnston. Il est entré dans l’histoire lors du Golden Globe Challenge de 1969 en devenant le premier navigateur à boucler un tour du monde en solitaire, sans assistance et sans escale. Il a aussi remporté le Trophée Jules Verne en 1994 aux côtés de Sir Peter Blake. Son ambition était de rendre accessible à tous la course au large. Il estimait en effet qu’il y avait moins de personnes réalisant un tour du monde à la voile que s’attaquant à l’Everest. Depuis 1996, date de la première Clipper, onze éditions bisannuelles se sont succédé et près de 5 400 personnes ont ainsi découvert cet univers. Parmi les participants, 40 % d’entre eux n’avaient jamais mis les pieds sur un bateau avant de s’embarquer sur la Clipper. Ainsi, tout le monde ou presque, peut participer à la Clipper, avec ou sans expérience préalable de la voile. L’âge minimum requis est 18 ans, mais il n’y a pas d’âge limite. Le doyen de l’édition 2019/2020 a 76 ans.
La course s’adresse aux hommes et aux femmes de tous horizons, nationalités et religions confondues… Même si une majorité d’anglophones sont présents, il y a tout de même 43 nationalités représentées dont une poignée de Français.
Avant de s’embarquer dans l’aventure, tous les candidats doivent passer par quatre semaines de formation obligatoire.
Cet entraînement a lieu au large de Gosport, dans le sud de l’Angleterre. Ils découvrent pour la première fois la vie à bord de l’un des onze bateaux de la flotte, des monocoques de 23 mètres de long, appelés Clipper 70. Ils font connaissance avec les autres participants, leur futur skipper et leur « AQP » (personne qualifiée additionnelle). Chaque Clipper 70 est sous la responsabilité d’un skipper professionnel. Celui-ci a pour mission d’assurer la sécurité de tous les membres de l’équipage et la bonne marche du bateau. Il joue un rôle important dans la cohésion du groupe et l’organisation de la vie à bord. Le poste d’AQP a été mis en place sur chaque bateau depuis l’édition précédente.
QUATRE SEMAINES DE FORMATION
Hugo Picard, connu pour sa chaîne Youtube « The Sailing Frenchman », est l’un d’entre eux. Il est chargé d’assurer la sécurité à bord tout au long des
40 000 milles que dure la course et de prendre les commandes s’il arrivait quelque chose au skipper. Pour Hugo, il s’agit d’une ligne non négligeable sur un CV nautique : « J’espère que ça va me donner plus d’expérience. Même si ce n’est pas ultra compétitif, ça reste un tour du monde. On est confronté aux conditions de mer et météo qui sont celles des mers du Sud, du pot au noir, etc. Quel que soit le bateau, tu y es confronté ». Le pari de la Clipper, c’est de former en quatre semaines tous les candidats, quel que soit leur niveau de voile préalable. Un programme intensif, bien rodé, au cours duquel ils apprennent les bases de la navigation, les règles de sécurité, le sauvetage en mer, la course en équipage, etc. L’objectif est de les préparer aux situations difficiles qu’ils rencontreront sur la course. Chaque semaine correspond à des compétences qui doivent être acquises avant de pouvoir passer à la suivante. Hugo ajoute : « Je ne connais aucune école française qui fasse autant de manoeuvres d’homme à la mer et de manière aussi poussée. On se trimbale un mannequin de 50 kg dans les cales parce qu’on fait des exercices aux escales et avant chaque départ de course. Si tu es circumnavigateur, ça représente plus de manoeuvres d’homme à la mer que 99 % des marins en ont fait dans leur vie ».
Une fois en course, on peut approfondir ses connaissances en météo, mécanique, gréement… Hugo revient sur l’importance pour les participants de s’investir dans leur rôle d’équipiers : « La Clipper propose une
Yooyoun ne quitte pas des yeux le spinnaker, prêt à choquer l’écoute à tout moment.
expérience de vie à des gens qui n’auraient absolument aucune chance de vivre ça autrement. On va dans des endroits où normalement Monsieur Tout Le Monde ne va pas [...] Mais l’idée n’est pas de les promener autour du monde. C’est à eux de se promener. L’expérience est vachement différente pour eux s’ils prennent les rênes ».
Robert a été séduit par le côté pédagogique de la Clipper qu’il juge très abouti, mais il garde à l’esprit que son expérience à travers l’océan Indien ne sera pas suffisante pour aller s’aventurer seul à traverser des océans : « Aller plus loin et traverser un océan, c’est une autre démarche très responsable avec des connaissances que je n’aurais pas acquises après les trois ou quatre semaines passées à bord en tant qu’équipier. En revanche, dans ma navigation de tous les jours, sur des traversées en Méditerranée, je voyagerai avec plus de confiance ».
PAS DE PLACE POUR LES ETATS D’AME
Loin d’être une croisière, la Clipper entraîne les participants au-delà de leur zone de confort. Les conditions sont difficiles et spartiates. Comme dirait Robert, il n’y a pas de place pour les états d’âme : « On est vingt personnes dans un espace confiné. Il faut aller dans le même sens si l’on veut arriver au bout. Dans les moments de doute, quand on se demande ce que l’on fait là, on voit les autres qui se lèvent, qui enfilent leur ciré. On ne doit pas les décevoir et on ne doit pas se décevoir soi-même puisque l’on a fait le choix de venir ». Laurence voit dans la navigation en équipage un challenge supplémentaire : « C’est une expérience humaine intéressante que je ne connaissais pas
du tout. Quand on m’a expliqué que l’on était vingt par bateau et que l’on n’aurait pas d’espace pour soi, j’arrivais tout à fait à l’imaginer et je savais aussi que je n’étais pas du tout faite pour ça. Donc le challenge était là aussi : faire un truc pour lequel, a priori, je ne suis pas faite du tout ! En plus de l’espace restreint, de l’absence de douches, des bannettes chaudes… il y a la fatigue physique et le manque de sommeil qui s’accumule au fur et à mesure des semaines. Puis, selon la région du Globe, la température peut être accablante ou glaciale.
AFFRONTER SES PEURS, REPOUSSER SES LIMITES
Laurence confie : « Il y a un truc que personne n’arrive à gérer, c’est le froid aux mains. Il n’y a pas une paire de gants qui fonctionne. Même le gant Mapa en plastique avec de la fourrure dedans : tu l’essayes chez toi, tu te dis c’est formidable mais au bout de 5 minutes, c’est trempé à l’intérieur et tu te demandes comment ». Certains jours, en fonction des conditions météo, on peut griller jusqu’à 5 000 calories. Anne se souvient : « Les deux ou trois derniers jours, on a roulé cinq fois le spinnaker dans une seule journée. C’était du non-stop ! Tu te demandes si on va aller vraiment plus vite ! ». Robert expose sa théorie : « Par rapport à la navigation côtière, où on a toujours un port ou un mouillage, ici le bateau est constamment en mouvement. Les muscles profonds travaillent perpétuellement. Le challenge est d’avoir une excellente préparation physique […] Si le physique tient, le moral tient ».
« Pourquoi faire quelque chose de facile ? Faites quelque chose de vraiment difficile, et vous obtiendrez la satisfaction et la fierté de l’avoir fait ! ». Sir Robin rappelle que
« la voile autour du monde est un sport extrême. Ce que nous essayons de faire, c’est de le rendre aussi sûr que possible. Traverser les pires endroits de la planète, comme le Pacifique Nord ou l’océan Indien, voilà quelque chose dont on peut être fier ! ». Jérôme raconte comment, pendant la leg 2, alors que le vent soufflait en rafales à 80 noeuds, le skipper lui demande de changer le yankee à la proue. « Je vois les vagues qui s’écrasent sur le bateau et je me dis : “il est fou ! On ne va pas là, c’est pas possible ». Avec du recul, il est conscient que c’était une question de point de vue : « Certaines choses ont l’air insurmontables. Pour moi, le challenge ce sont les grosses vagues. Mais même ça, maintenant c’est devenu accessible dans ma tête.
Les barrières ont été repoussées ! ». Au-delà des difficultés du quotidien, la Clipper offre aux participants la possibilité de réaliser non seulement la course de leur vie, mais d’enfiler les bottes de Sir Robin et de vivre tel un vrai aventurier. Une expérience positive à plein de niveaux : enrichissement personnel, dimension humaine, concrétisation d’un rêve… Robert gardera toute sa vie le souvenir des vagues des mers du Sud. « J’ai vu une mer démontée, blanche, avec des vagues qui déferlent et des taches bleu glacier, des albatros et des sternes... Des images qui ne seront jamais effacées ».
On va dans des endroits ou Monsieur Tout Le Monde ne va pas.