Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« On donnait du jeu, du plaisir »

Le 27 juin 1984, la France remportait sa première compétitio­n majeure en devenant championne d’Europe. Alors jeune attaquant internatio­nal, Jean-Marc Ferreri se souvient de tout.

- PROPOS RECUEILLIS PAR GUILLAUME RATHELOT

Il arrive en boitillant. La faute à des mollets qui sifflent. Oui, parce que même à 61 ans, JeanMarc Ferreri ne résiste pas à l’appel des matches de gala avec ses anciens clubs : Auxerre, Bordeaux, Marseille, Toulon... C’est d’ailleurs là, sur les plages du Mourillon, que l’on a retrouvé ce proche de la direction du Sporting, présent à tous les matches de N2. L’ancien attaquant de poche évoque l’équipe de France. Avec elle, il est devenu champion d’Europe pour la première fois le 27 juin 1984. Quarante ans après, les souvenirs sont intacts.

Que reste-t-il aujourd’hui du titre de 1984 ?

On m’en parle tout le temps. “Gigi” (Alain Giresse) me dit souvent que je suis le premier à avoir fait le doublé Euro - champion d’Europe avec un club français (Marseille en 1993). Ça fait toujours plaisir. Et ça fait une ligne au palmarès, même si je n’ai joué aucune des deux finales.

Votre sélection était-elle une surprise ?

Quand la liste de Michel Hidalgo tombe, je sais que je vais y être. J’avais fêté ma première cape après le mondial 82. Mes prestation­s suivaient la progressio­n d’Auxerre, où j’avais commencé en D2. En 84, je faisais déjà des gros matches, et on venait de disputer notre première rencontre européenne contre le Sporting Lisbonne (éliminatio­n après prolongati­on)... À l’Euro, il n’y avait que trois petits jeunes : Bravo, Bellone et moi. Et Amoros, qui avait déjà l’expérience de la coupe du monde 82. Ensuite, il n’y avait que les vieux briscards

de 82 : Tigana, Platoche, Rocheteau, Giresse, Lacombe...

C’était forcément plus dur de se faire une place ?

Pas facile de s’intégrer, en effet ! À ma place, il y avait Platini et derrière, il y avait Giresse (rires). Devant, Rocheteau, Six, Lacombe. Que des monstres. Je savais que j’aurais plus un rôle de joker.

Ce carré magique FernandezG­iresse-Tigana-Platini, en quoi était-il exceptionn­el ?

Techniquem­ent, c’était tous des créateurs, ce qui n’existe plus aujourd’hui. Ces quatre-là étaient très forts, mais il y avait aussi moi et Genghini derrière... On était des numéros 10, on donnait du jeu, du plaisir. C’était beau à voir. Aujourd’hui, beaucoup s’identifien­t encore à notre génération, plus qu’à celle de 1998.

Platini, ça reste le meilleur joueur avec lequel vous avez évolué ?

Il y en a d’autres qui m’ont marqué, comme Klaus Allöfs, Rudi Völler, Alen Boksic, Enzo Scifo. Ou Andrzej Szarmach, qui était un super buteur. Mais “Platoche”, ouais, quand même, il était au-dessus du lot. Surtout pendant l’Euro. Il savait tout faire et il marquait beaucoup. Il avait une qualité de passe et un sens du but incroyable­s.

Vous passez les deux premiers matches sur le banc, puis vous êtes titulaire lors du succès contre la Yougoslavi­e (3-2). C’était le match des « coiffeurs » ?

Pas tant que ça, parce que je suis le seul à rentrer dans le onze (rires) ! Et je suis super heureux, parce que c’est le match que je voulais

nd vraiment jouer, devant ma famille et mes amis à Saint-Étienne (il vient de Charlieu, près de Roanne, dans la Loire, Ndlr). L’excitation d’être chez moi, c’était fort, dans ce stade de Geoffroy-Guichard qui m’a fait aimer le foot avec l’épopée des Verts. Je suis titulaire et je réalise un très bon match.

Qu’en retenez-vous ?

Notre première mi-temps était dégueulass­e contre une super équipe. À la mi-temps, on perd, ça gueule un peu... Et puis je donne la balle de but à Platoche pour l’égalisatio­n (1-1). D’ailleurs, Michel me charrie tout le temps làdessus : « “Féfé”, tu m’as donné un ballon pourri avec ton extérieur du pied droit, j’ai dû m’arracher pour aller marquer, j’étais au contact avec le gardien et j’ai failli me casser le genou à cause de toi. » C’est du Platoche ! Je lui réponds : « Mais tu te fous de ma gueule ou quoi ? Je t’ai fait une belle passe décisive. »

‘‘ Au moment de ce but, il y a aussi une scène lunaire : le médecin yougoslave, victime d’un malaise, est en train d’être réanimé sur le bord de la touche mais le jeu continue. Personne n’a rien vu sur le terrain ?

Sincèremen­t non, on n’a su ça qu’en rentrant aux vestiaires ! Sur le moment, personne ne nous a alertés. Il n’y avait pas autant de caméras qu’aujourd’hui.

Vous participez ensuite à la demifinale

à Marseille contre le Portugal (3-2 ap)...

Comme j’étais en forme, Michel (Hidalgo) me fait entrer à la place de “Gigi”. C’est un match mythique, surtout pour l’ambiance extraordin­aire de l’ancien stade Vélodrome. Je pense que sans ça, on ne se serait pas qualifié. Et le scénario... À la mi-temps de la prolongati­on, on est mené (1-2), il y avait vachement de nervosité, on s’engueulait, c’était un volcan. Et puis les individual­ités ont fait la différence : l’accélérati­on incroyable de Jeannot (Tigana) et Platoche qui vient nous délivrer, comme un symbole.

En revanche, vous vivez la finale depuis le banc...

J’étais déçu de ne pas rentrer. Un peu beaucoup, même. C’était un match très tendu. On a plus de souvenirs et de passion sur la demie que la finale...

Le coup franc de Platini, vous le voyez ?

Il est cadré, mais il n’a rien de fabuleux. On comprend vite qu’il y a une couille d’Arconada, le meilleur gardien d’Europe à l’époque. Comment a-t-il pu faire une cagade comme ça ? C’est incroyable. Le but, je ne l’ai vraiment revu que le lendemain.

1984, c’est aussi la der de Michel Hidalgo...

J’ai eu de la chance de n’avoir que de grands coaches : lui, Guy Roux, Raymond Goethals, Aimé Jacquet... Humainemen­t, c’était un

super mec. Un grand Monsieur. Quelques mois avant son décès (en 2020), il n’allait pas bien, mais il nous avait tous réunis, les champions d’Europe, dans un resto à Marseille. Un super souvenir.

Tout le monde loue l’ambiance d’alors dans le vestiaire...

Nos stages à Font-Romeu avant l’Euro ont beaucoup fédéré. On les doit à Hidalgo. Et on avait Luis Fernandez, le déconneur de la bande. Avec Jeannot et Platoche, tu mettais les trois dans une salle, tu rigolais.

Platoche me charrie souvent : “Féfé”, tu m’as donné un ballon pourri”

Comment expliquez-vous que, hormis la coupe du monde 86, la France n’a pas réussi à faire fructifier cette victoire ?

On avait une génération formidable, on était tous très bons en club, mais la mayonnaise n’a jamais pris en Bleu. On a tout de suite eu des mauvais résultats et les mecs n’avaient plus trop de motivation pour aller en équipe de France. On rate l’Euro 88, la coupe du monde 90... Si on doit faire un reproche à Henri Michel, que j’adore, c’est qu’il a essayé 55 joueurs ! Platini a un peu resserré ça ensuite, avec quasiment le même « onze » à chaque fois. Mais ce n’est pas normal qu’on n’ait pas réussi à faire mieux. C’est du gâchis. Et c’est aussi de notre faute. J’ai beaucoup de regrets par rapport à ma carrière internatio­nale (stoppée à 37 sélections en 1990).

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 ?? (Photos AFP et Gui. R.) ?? Les Bleus ont remporté l’Euro 1984 il y a tout juste quarante ans. Un souvenir indélébile pour Jean-Marc Ferreri (au premier plan, 2e en partant de la droite).
(Photos AFP et Gui. R.) Les Bleus ont remporté l’Euro 1984 il y a tout juste quarante ans. Un souvenir indélébile pour Jean-Marc Ferreri (au premier plan, 2e en partant de la droite).

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