Affaire Legay à Nice : une charge « disproportionnée »
Après le rapport de la police des polices, la militante blessée en mars 2019, lors d’une manifestation de Gilets jaunes, réclame justice
Selon nos confrères de Mediapart, qui révèlent l’information (notre édition d’hier en pages France), l’Inspection générale de la police (IGPN) a estimé, dans les conclusions de son rapport rendu en avril, que la charge des policiers était « disproportionnée » dans l’affaire Geneviève Legay. Cette militante de 73 ans avait été grièvement blessée le 23 mars 2019, à Nice, au cours d’une manifestation des Gilets jaunes. « Dans ses conclusions rendues en avril, l’IGPN met en cause le commissaire divisionnaire Rabah Souchi, à la tête des opérations, et donne raison au capitaine de gendarmerie qui, le jour des faits, a refusé de participer à cette charge et d’engager son escadron composé de près de 60 hommes », indique Mediapart. Le site publie une vidéo inédite tournée par la cellule image ordre public (CIOP) des gendarmes qui montre la scène.
Charge « brutale et violente »
Dans son rapport, publié sur le site, le capitaine de gendarmerie relate : « Puis intervient le moment où [le commissaire Souchi, nommé dans le rapport TI 110, Ndlr] arrive sur moi, toute voie hurlante, qui après avoir fait des sommations d’emploi de la force uniquement, m’ordonne de charger une foule calme dans la direction du boulevard Jean-Jaurès plein sud. Je précise que nous sommes toujours avec notre nasse de pseudos interpellés calmes et que nous avons les casques à la ceinture. Je refuse cette charge sans lui indiquer parce qu’il est dans un état tel qu’il n’aurait pas été bon de le faire. J’ordonne à mes hommes de refouler les gens sans emploi de la force. (…) Il indique à son collaborateur proche de lui qu’un capitaine de gendarmerie refuse ses ordres. Je ne dis rien. Je n’ai pas envie de me confronter à un individu qui ne se maîtrise plus et qui devient même presque dangereux. » Le capitaine évoque une charge « commandée », « instantanée », « brutale et violente ». Et de rappeler son sentiment de l’époque : « Nous sommes tous abasourdis. »
Une autre stratégie était préconisée
L’IGPN précise, dans son rapport, qu’une autre stratégie proposée alors par les gendarmes, également sur place le 23 mars 2019, « aurait été une manoeuvre d’une intensité proportionnelle à la situation ». Les militaires préconisaient une « vague de refoulement », au cours de laquelle les boucliers sont baissés et la force n’est pas employée. Le commissaire Rabah Souchi, mis en cause par le rapport, est toujours en poste. Il avait été décoré par Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, le 14 juillet 2019, pour
« engagement exceptionnel », au même titre que 9 000 policiers français. Il encadrait encore, le 12 septembre, une manifestation de Gilets jaunes à Nice.
« Une reconnaissance »
Geneviève Legay, interrogée par notre titre, se réjouit des conclusions du rapport de la police des polices. Diminuée, elle souffre de séquelles : « J’ai zéro odorat, le goût est perdu, je ne vois pas bien et j’ai des troubles de l’équilibre. » Elle estime que les conclusions de l’IGPN sont une « reconnaissance ». Toujours en quête de vérité, elle tient à remercier la gendarmerie : « Je voudrais féliciter le capitaine des gendarmes. Il a joué un rôle capital en refusant d’intervenir aux injonctions du commissaire. J’ai été fonctionnaire moi-même, il m’est arrivé de désobéir. Cet homme a fait son devoir, je suis en admiration devant lui. »
« La police s’est couverte de ridicule »
Sur le rôle du commissaire pointé dans le rapport de l’IGPN, elle se dit « soulagée ».« J’espère qu’il arrivera ce qui doit arriver au commissaire Rabah Souchi maintenant que l’IGPN a dénoncé ses actes. Mais au-delà de lui, j’ai toujours demandé à mes avocats de remonter la filière. Il y a notamment la chaîne de commandement, avec le directeur départemental de la sécurité publique et le préfet. » La militante estime que dans cette affaire « la police s’est couverte de ridicule, de mensonges. Que l’IGPN reconnaisse enfin la vérité, ça me met du baume au coeur. Pas que pour moi, mais pour les Gilets jaunes qui ont toujours manifesté pacifiquement à Nice ». Elle espère désormais que justice soit faite. « J’espère qu’elle va s’emparer du rapport. Quand j’ai vu la juge le 30 janvier, elle n’avait même pas connaissance des écrits du capitaine de gendarmerie. Mes avocats et moi les avons fait verser au dossier. » Elle estime que l’instruction « avance trop lentement ».
Le procureur avait été mis en cause
Le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre, depuis muté à Lyon, avait été mis en cause dans cette affaire. Dans un premier temps, il avait affirmé que la septuagénaire n’avait « pas été touchée par les forces de sécurité », avant de se dédire. Il avait expliqué n’avoir pas voulu mettre le chef de l’État dans l’embarras. Le jour-même de la prise de parole du procureur, le président de la République avait en effet assuré, dans nos colonnes, que Geneviève Legay n’avait pas été en contact avec les forces de l’ordre. « Quand on est fragile (...) on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits », avait également déclaré le chef de l’État, souhaitant à Geneviève Legay « une certaine forme de sagesse ». Des propos qui avaient créé la polémique. Ni la direction départementale de la sécurité publique, ni le commissaire Rabah Souchi, n’ont souhaité répondre à nos questions.