Climat : ‘‘Que tous les pays tirent dans le même sens !’’
L’expert climatologue Jean Jouzel est invité à s’exprimer, ce soir à Saint-Raphaël, dans le cadre des conférences de 18h59. Il ne cache pas son inquiétude sur l’avenir de la planète...
Il a beau avoir 72 et bientôt 73 ans, il se montre toujours aussi déterminé pour alerter sur les dangers que court la planète, à cause du réchauffement climatique. Car le climat, il connaît : Jean Jouzel est l’un des plus grands climatologues et glaciologues français, actuel directeur de recherches au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), membre de l’Académie des sciences, commandeur de la Légion d’honneur, médaille d’or du CNRS et engagé au sein du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Il intervient ce lundi soir dans le cadre des conférences de 18h59, abordant l’étude des climats passé, présent et futur.
En quoi étudier les climats du passé nous aide-t-il à comprendre celui du futur ?
Analyser les différents climats qui se sont succédé sur Terre est intéressant à plusieurs titres. Déjà parce qu’il nous aide à comprendre l’évolution des différentes civilisations sur la planète à travers les époques. En tant que glaciologue à mes débuts, ce qui m’intéressait c’était de déterminer en quoi les climats passés nous apportent des informations pertinentes pour le présent et le futur. Que ce soit en Antarctique ou au Groenland, nous avons découvert des évolutions rapides du climat dans un passé récent, et c’est toujours en équipe que nous avons établi, peu à peu, la réalité du réchauffement climatique, en nous basant sur des études scientifiques en rapport avec les climats du passé. Donc oui, il y a clairement un lien entre les climats passés qui permettent de mettre en perspective ce que nous connaissons ces dernières années au sujet du climat, et on se rend compte alors de la rapidité avec laquelle le climat évolue en ce moment... Pour démontrer – ce que l’on a fait il y a déjà un moment en équipe – que le réchauffement climatique existe bel et bien, et qu’il est lié à l’activité humaine, il faut du recul. C’est aussi pour cela que récolter des données sur les climats passés est primordiale. On s’aperçoit que l’on n’a pas, dans le passé, de période analogue à celle que l’on vit actuellement. Il y a eu certes des périodes chaudes, mais vraiment pas similaires à ce qu’on a en ce moment. La seule façon de regarder vers le futur, est de se baser sur des modèles qui s’appuient sur le passé. Tout est lié entre le passé, le présent et le futur, il y a une continuité, c’est ce que j’expliquerai lors e ma conférence.
Justement, il y a ou ans, on pensait qu’au contraire, on se dirigeait vers une période de glaciation...
C’est exact. Les trois précédentes périodes interglaciaires avaient duré environ ans, la nôtre s’approchait de ans. Et comme il y avait eu une petite baisse dans les années , des camarades scientifiques et moi envisagions d’abord le refroidissement... Les articles de l’époque parlaient de la prochaine glaciation ! C’était plausible. Mais ce qu’on avait pas encore compris à l’époque, et que l’on sait bien maintenant, c’est que la durée des périodes de glaciation ou tempérées dépend largement de l’orbite terrestre. Sans entrer dans le détail, on a encore devant nous à ans de plus devant nous avant la prochaine période de glaciation. À la lumière des avancées scientifiques et des données récoltées, on arrive à en savoir plus sur la période qui nous attend.
Reste-t-il encore ceux qu’on appelle des climato-sceptiques au sein de la communauté scientifique ?
Oui, mais ils sont moins nombreux qu’auparavant, et moins audibles de nos jours. Il y en avait encore récemment, ils ont même lancé solennellement un appel à l’ONU il y a quelques années. Mais on les entend de moins en moins, même s’il en reste encore, même en France. Généralement, ce sont des scientifiques qui travaillent dans d’autres domaines, et qui ont produit quelques travaux aussi dans celui du climat. Mais parmi ceux pour qui le climat est leur domaine d’expertise, on ne voit plus de climatosceptique.
Entendre des personnalités de premier plan comme Trump nier l’existence du dérèglement climatique, est-ce inquiétant ou négligeable ?
Bien sûr que c’est inquiétant. Des gens comme Donald Trump ou Bolsonaro n’ont pas vraiment construit d’arguments scientifiques. S’ils acceptent la réalité, cela voudrait dire qu’ils doivent alors agir en fonction de l’urgence, et ils ne le souhaitent pas, c’est plus facile de nier la réalité. Un pays comme les ÉtatsUnis voit ça comme une contrainte. Je dis souvent que si le réchauffement climatique était à court terme et intéressant économiquement pour son développement, Donald Trump ne serait certainement pas climato-sceptique ! Mais il a construit sa politique autour de son scepticisme, les États-Unis se retirent de l’accord de Paris. Et cela plus pour des arguments géopolitiques que scientifiques... Je pense que c’est pareil pour Bolsonaro.
On a pris là deux exemples d’États. Mais à l’échelle du monde, et au vu des différentes COP qui se succèdent, écoute-ton assez le GIEC ?
C’est clairement insuffisant. L’accord de Paris, qui va prendre effet dès l’an prochain, était un succès mais les engagements sont largement insuffisants. Je rappelle qu’il était question de limiter à degrés maximum l’augmentation de la moyenne des températures sur le globe. Or pour arriver à cet objectif il faudrait arriver à faire trois fois mieux, entre et , que ce qui a été décidé ; et pour limiter à , degré cette augmentation, ce qui serait bien mieux, il faudrait arriver à faire sept fois mieux que ce qui a été décidé. Vous voyez l’ampleur de la tâche...
Était-ce alors utile, toute cette énergie des états à la COP pour trouver un accord ?
Je pense quand même que c’était nécessaire, oui. C’était presque prometteur. Mais quand on voit aujourd’hui que les USA se retirent de l’accord officiellement, suivis officieusement par certains autres comme la Russie, l’Australie ou les pays du golfe, c’est très regrettable. Pour arriver à avoir un espoir, il faudrait que tous les pays tirent dans le même sens. Hélas, ce n’est pas le cas. Je ne remets pas la COP en cause, mais la politique égoïste de certains pays. Je pense que l’Europe a une carte à jouer, pas la France toute seule, c’est sûr.
Vous parliez de l’Australie. Les feux gigantesques qu’elle subit sont-ils dûs au réchauffement climatique ?
On ne peut pas – encore – le prouver, il faut du temps et être prudent avant d’affirmer quoi que ce soit. on le saura plus tard, après plusieurs études rigoureuses, qu’il y a probablement un lien.
On a jamais autant parlé de prise de conscience en faveur du climat ces derniers temps... Estce trop tard ?
Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Les vrais conséquences du changement climatique, ce sera pour nos enfants... Dans moins d’un siècle. C’est déjà perceptible, il suffit de regarder autour de soi. En résumé, pour que nos politiques soient efficaces, il aurait fallu écouter le scientifiques qui parlent de réchauffement climatique depuis plus de trente ans...
◗ Conférencede 18h59 : Jean Jouzel, ce lundi soir, 18h59 au palais des congrès, à Saint-Raphaël. Gratuit, sur réservation au centre culturel.
Les articles de l’époque parlaient de la prochaine glaciation”
Je ne remets pas la COP en cause, mais la politique égoïste de certains pays.”