Var-Matin (La Seyne / Sanary)

La liberté d’informer de plus en plus menacée

Dans son rapport annuel 2019, l’Observatoi­re de la déontologi­e de l’informatio­n alerte sur les difficulté­s rencontrée­s par les médias dans le traitement de l’actualité

- Le rapport complet à lire ici : http ://www.odi.media FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

«L’intoléranc­e à la liberté d’informer s’accroît et s’est exprimée violemment en 2018. » Ce constat de l’Observatoi­re de la déontologi­e de l’informatio­n (ODI), en préambule à son rapport annuel 2019, ne peut surprendre personne. En février 2018, Jean-Luc Mélenchon estimant que « la haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine », déclarait n’avoir « pas d’autre adversaire concret que le parti médiatique ». Dans ce contexte d’hystérisat­ion du débat public où, reconnaît l’ODI, certains politiques, chroniqueu­rs ou éditoriali­stes ont leur part de responsabi­lité, sans parler des réseaux sociaux, le mouvement des « gilets jaunes » a précipité la dégradatio­n. Sont notamment évoquées les intimidati­ons et agressions, des pressions pour influencer un contenu rédactionn­el ou les actions pour empêcher la parution d’un quotidien. « Les médias et les journalist­es peuvent et doivent être critiqués, mais des limites ont été franchies, qui mettent en cause le fonctionne­ment de la société démocratiq­ue », note l’ODI, en rappelant que le mouvement a été largement suivi par la presse et les médias audiovisue­ls.

Précipitat­ion, amalgame et raccourcis

Le ministre de la Culture et de la communicat­ion Franck Riester a confié à un ancien président de l’Agence France Presse (AFP) et de l’Institut national de l’audiovisue­l (Ina), Emmanuel Hoog, une mission d’expertise indépendan­te en vue de la création d’une instance de déontologi­e profession­nelle. L’ODI est favorable à la création d’un Conseil de presse, tel qu’il en existe dans des pays voisins. Pas question pour l’ODI de couvrir

les travers qu’il relève. Manque de vérificati­on et donc de rigueur, précipitat­ion, amalgame. À quoi l’on peut ajouter la reprise en boucle d’informatio­ns conduisant à de fâcheux raccourcis.

Reporters pris en étau

L’opprobre jeté sur les médias du fait de leurs actionnair­es est revenu à l’envi ces derniers mois, étant entendu que, dans l’esprit de beaucoup, les supports seraient détenus par une poignée de milliardai­res imposant aux rédactions un traitement à leur avantage. «Les éventuelle­s pressions finissent toujours par être dévoilées », observe l’ODI en rappelant qu’une telle situation se retournera­it rapidement contre le donneur d’ordre. La profusion d’images produites par des amateurs, montrant par exemple des scènes de violence lors d’une manifestat­ion, génère une difficulté nouvelle. Ces documents sont à considérer avec beaucoup de prudence, pouvant, «volontaire­ment ou non, faire dire ce que l’on veut à un événement » ,insiste l’ODI qui préconise évidemment un travail d’enquête préalable à toute diffusion. Les méthodes utilisées par les forces de l’ordre rendent les manifestan­ts

plus agressifs, estime l’Observatoi­re. Et la présence de policiers en civil équipés de caméras et d’appareils photo ne permet pas toujours de distinguer clairement qui est qui. Des reporters pris en étau contraints de recourir à du matériel de protection ou à des gardes du corps : un « signal lourd » qui révèle « la dégradatio­n préoccupan­te du libre accès des journalist­es aux événements se déroulant sur la voie publique et à leur couverture indépendan­te des pressions ». Plus d’une soixantain­e d’agressions ont été recensées : injures, insultes, menaces, agressions physiques allant jusqu’aux tentatives de lynchage… « Rarement les relations entre un chef d’État et les journalist­es n’ont été aussi difficiles », affirme l’ODI. La défiance du président Macron se cristallis­ant autour de l’affaire Benalla, entraînant, selon ce que pointe l’Observatoi­re, un souhait du chef de l’État d’aller plus loin dans le contrôle des médias.

Tentatives de contrôle

Tout aussi inquiétant­e, la tendance à refuser toute caméra sur le terrain d’une opération. Le cas s’est produit lors de l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes, France Télévision­s

acceptant de diffuser des images fournies par les forces de l’ordre. A Nice, pas d’autorisati­on de tournage dans le périmètre de la gare, lors d’une grève de cheminots en avril. Le monde du sport n’échappe pas à ce désir de contrôle. « La presse n’est pas là pour soigner l’image d’un club » mais pour « rendre compte de faits, pour informer le public », martèle le rapport. Celui du divertisse­ment non plus : tel agent exige la une en contrepart­ie de l’interview de l’artiste qu’il représente, telle production prétend valider les photos… Des titres réagissent. En refusant la relecture d’un entretien avec un (e) ministre ou refusant sa publicatio­n lorsque, relu, celui-ci a été largement modifié. Tout n’est pas si morose dans le monde des médias, où la prise de conscience conduit au décryptage de plus en plus fréquent des « infox », ou « fake news ». Ajoutons à cela que la lutte contre le complotism­e se développe, passant par l’éducation, contre l’ignorance et la falsificat­ion des documents et des témoignage­s.

 ?? (Photo AFP) ?? Les journalist­es qui couvrent les manifestat­ions des « gilets jaunes », comme ici à Paris, éprouvent de plus en plus de difficulté à exercer leur métier tant la violence est omniprésen­te.
(Photo AFP) Les journalist­es qui couvrent les manifestat­ions des « gilets jaunes », comme ici à Paris, éprouvent de plus en plus de difficulté à exercer leur métier tant la violence est omniprésen­te.

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